Les Églises ukrainiennes prétexte à l’invasion de l’Ukraine.

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Les Églises ukrainiennes prétexte à l’invasion de l’Ukraine.

Par Richard Falo
1 mars 2022

La toile de fond de la guerre en Ukraine comporte un volet religieux qui passe sous les radars des chaines d’info.

Pour bien comprendre la décision insensée du président Poutine d’envahir l’Ukraine il faut prendre en considération la situation complexe des Églises orthodoxes ukrainiennes. Si j’écris « des » c’est que la population orthodoxe majoritaire en Ukraine est divisée entre une Église orthodoxe indépendante depuis 2019 et une Église orthodoxe placée sous l’autorité du patriarche Cyrille de Moscou.

Le président Vladimir Poutine a justifié son invasion de l'Ukraine en invoquant le sauvetage de l'église orthodoxe fidèle à Moscou.

A cela a répondu le métropolite Epifany de Kiev "Par la prière, pour l'amour de Dieu et de l'Ukraine et de notre prochain nous lutterons contre le mal et nous verrons la victoire"

L'Ukraine et la Russie sont divisées par une histoire commune tant politique que religieuse.

L’histoire religieuse de l’Ukraine et de la Russie remonte au royaume médiéval de Kievan Rus, dont le prince Vladimir au neuvième siècle a rejeté le paganisme, été baptisé en Crimée et a adopté l'orthodoxie comme religion officielle.

En 2014, le président Poutine a invoqué cette référence historique pour justifier l’annexion de la Crimée, une terre qu'il a qualifiée de sacrée pour la Russie.

Alors que Poutine revendique l’héritage historique de Rus, les Ukrainiens affirment que leur état moderne a une origine bien antérieure à la Russie moderne.

Les églises orthodoxes ont historiquement été organisées selon leur appartenance nationale avec des patriarches autonomes sur leurs territoires bien que liées par une foi commune le patriarche œcuménique de Constantinople étant considéré comme premier parmi ses pairs.

Avec la montée en puissance de la Russie et l'affaiblissement de l'église de Constantinople sous la domination ottomane, le patriarche œcuménique délégua en 1686 au patriarche de Moscou le pouvoir d'ordonner le métropolite de Kiev.

L'Église orthodoxe russe avec à sa tête Cyrille estime qu'il s'agissait d'un transfert permanent. Le patriarcat œcuménique de Constantinople estime qu’il n’était que temporaire avec pour résultat que Constantinople et Moscou prétendent tous deux que l’Ukraine est leur territoire canonique. 

Lorsqu’en 2019 le patriarche œcuménique Bartholomée a reconnu l'Église orthodoxe d'Ukraine comme indépendante du patriarche de Moscou – qui a farouchement protesté contre cette décision — les tensions dans un contexte post chute du mur sont devenues explosives. Ainsi l'ancien président ukrainien, Petro Porochenko, a-t-il affirmé : "L'indépendance de notre Église fait partie de nos politiques pro-européennes et pro-ukrainiennes".

Comment ne pas penser que le président Poutine ne capitalise pas sur la question de cette émancipation de l’Église ukrainienne pour justifier son projet d’annexion de l’Ukraine ?  

Ainsi dans son discours du 21 février dernier cherchant à justifier l'invasion imminente de l'Ukraine, Poutine a affirmé sans preuve que Kiev se préparait à détruire l'Église orthodoxe ukrainienne fidèle au Patriarcat de Moscou.

Suite à la reconnaissance par le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée de l’Église orthodoxe autocéphale d’Ukraine en 2018, l’Église orthodoxe russe a décidé de "rompre la communion eucharistique" avec le patriarche œcuménique de Constantinople et suivant avec l’Église orthodoxe ukrainienne.  

Cela signifie l’interdiction de l’intercommunion pour les fidèles des Églises affiliées à Moscou et à Constantinople.

Le président Poutine dans son projet de restauration de la grande Russie a parfaitement instrumentalisé ces tensions entre Églises orthodoxes présentes sur le sol ukrainien pour justifier l’annexion de l’Ukraine tout comme il avait en 2014 utilisé une référence religieuse pour annexer la Crimée.  

Richard Falo

Photo: Cérémonie de deuil pour le capitaine Anton Sydorov, 35 ans mort au combat dans l’Est ukrainien, 22 février 2022, Associated Press, Emilio Morenatti