Fais attention, c’est dangereux là-bas! 

Une zone de bombardements dans les montagnes kurdes / Visite dans les montagnes kurdes et la zone de bombardements
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Une zone de bombardements dans les montagnes kurdes
Visite dans les montagnes kurdes et la zone de bombardements

Fais attention, c’est dangereux là-bas! 

Par Muriel Schmid
26 septembre 2019

J'étais récemment au Kurdistan Irakien pour quelques deux semaines. Comme directrice des Équipes Chrétiennes pour la Paix, je visite notre équipe de terrain ; nous avons assumé une présence dans le Kurdistan irakien depuis 2006. De 2002 à 2006, notre équipe se trouvait à Bagdad et travaillait dans les régions du sud et du centre de l’Irak pour y documenter les effets de la guerre sur les populations civiles et soutenir les initiatives locales pour la paix.

En 2006, notre équipe s’est déplacée dans le Kurdistan irakien, dans la partie nord de l’Irak. Le Kurdistan irakien est le refuge des populations kurdes et autres minorités ethniques, toutes victimes des guerres et des effets de la colonisation qui ont ravagé cette partie du monde. Dans cette région, nous travaillons principalement en partenariat avec les petits paysans de montagnes soumis à des bombardements transfrontaliers, des communautés menacées par les opérations de multinationales et un nombre d’organisations civiles qui défendent le droit des minorités. Nous n’allons sans doute pas partir de sitôt !

Quand vous voyagez et que vous annoncez à vos proches que vous vous rendez au Kurdistan irakien, la première réaction est souvent une mise en garde : « Fais quand même attention, c’est dangereux là-bas ! » Même si les personnes qui vous mettent en garde n’ont pas visité cette région, les stéréotypes sont bien présents. Leur réaction est en grande partie inspirée par les médias occidentaux qui se sont concentrés sur les violences de l’État islamique, la guerre en Irak, les déplacements de populations, le régime iranien, la guerre en Syrie, etc. Rares sont les médias qui parlent de la vie quotidienne de ces populations et de leur lutte pour une société démocratique.

Mon vol m’a menée de Zurich à Istanbul et d’Istanbul à Sulaymaniyah, la deuxième ville du Kurdistan irakien où notre équipe est basée. On ne parle pas du Kurdistan à Istanbul, sur la carte de Turkish Airlines, le Kurdistan n’existe pas ; je vais en Irak et il ne faut pas que je me trompe quand on me pose la question ! La dernière fois que je voyageais de Zurich à Sulaymaniyah, également avec Turkish Airlines, le personnel de la compagnie aérienne à l’aéroport de Zurich tenta de m’empêcher d’embarquer, refusant de faire mon check-in sans un visa pour mon entrée au Kurdistan. Une fausse information : les visiteurs en provenance de pays occidentaux peuvent venir librement au Kurdistan pour une durée d’un mois sans aucune démarche particulière.

La Turquie, nous le savons, tout comme les autres pays qui entourent le Kurdistan irakien, tente depuis des années d’effacer la population et la culture kurdes. Le véritable danger ici, ce sont les bombardements transfrontaliers réguliers que l’armée turque pratique sans impunité sur les populations civiles du Kurdistan depuis 30 ans. Personne n’en parle ! L’Iran se joint à la Turquie de manière intermittente.

Notre équipe documente l’effet de ces bombardements qui ont fortement augmenté au cours de l’année écoulée. Ces bombardements visent officiellement les groupes de résistance armée qui se cachent dans les montagnes du Kurdistan irakien ; en réalité, les populations civiles en sont les premières victimes et en sont parfois clairement la cible directe. Enfants, adultes, jeunes et animaux sont régulièrement tués ou blessés. Dans notre travail, nous accompagnons les familles des victimes tout en appelant les gouvernements à utiliser négociations diplomatiques et moyens pacifiques pour résoudre les conflits existants.

En revenant, deux questions centrales m’accompagnent :

  1. Qui fournit les bombes et les drones utilisés dans ces bombardements ? Comme premier pays exportateur d’armes, les États-Unis en procurent dans ce conflit.  Mais les pays européens ne sont pas à la traîne et l’an dernier la NZZ publiait un long article sur le rôle grandissant de l’industrie suisse d’armement dans les conflits mondiaux.
  2. Quelle est la responsabilité de nos médias lorsqu’ils perpétuent des stéréotypes de violence ? Depuis la soi-disant défaite de l’État islamique, l’intérêt médiatique pour la région a fortement diminué et la reconstruction de cette région ne fait généralement pas la une des journaux.

Au cours des dernières années, le Kurdistan irakien a accueilli grand nombre de réfugiés syriens, iraniens, irakiens ; la population des yézidis a également trouvé accueil ici tout comme certains groupes chrétiens persécutés en d’autres endroits. Reconnue comme le berceau des civilisations, cette terre semble être encore et toujours aux confluents des cultures et des religions.

Quelques jours avant la fin de mon séjour, notre équipe se rendait dans les montagnes du Kurdistan irakien et visitait deux petites communautés vivant côte-à-côte, l’une chrétienne et l’autre musulmane, victimes des bombardements transfrontaliers. Les habitants de ces deux villages sont fiers de montrer que la cohabitation est possible, de déclarer leur solidarité les uns envers les autres et de célébrer ensemble les événements marquants de la vie. De tels signes de paix sont bien souvent ignorés dans nos images reçues.

Le dialogue interreligieux est un pas vers l’ouverture et la reconnaissance d’efforts communs pour le respect et la tolérance. Mais à quoi ressemble la vie en commun ? Le vrai partage et la solidarité sans exclusion ? L’Association Migraweb qui s’active en Suisse pour l’intégration des migrants, dédie une page de son site au rôle important du dialogue interreligieux dans les efforts d’intégration et procure la liste de divers groupes qui s’y attèlent. De nombreuses associations en font de même. En 2018, la FEPS signait avec d’autres représentants religieux une Déclaration Interreligieuse sur les Réfugiés. La Déclaration s’appuie sur le principe suivant :

L’éthique d’une humanité solidaire se fonde sur l’idée de la création divine de tout individu. Cette conviction, fortement ancrée dans le judaïsme, le christianisme et l’islam, entraîne l’obligation de contribuer à ce que tous les êtres humains puissent vivre ensemble dans la paix et la justice.

Aux confins des montagnes du Kurdistan irakien, cette éthique se vit déjà !