L’Église réformée vaudoise se "dénombrilise"
Voilà plus de 30 ans que je vis en pays de Vaud, que je suis accueilli dans un humus aussi attachant et généreux qu’unique et parfois déconcertant. L’Église Réformée qui m’est chère, en est un bel exemple. Comme toutes ses soeurs, riches de leurs traditions démocratiques, l’Église Évangélique Réformée du Canton de Vaud (EERV) peine à élaborer une gouvernance apaisée, enracinée, tout autant qu’ouverte sur la nouveauté. Elle fait face à des défis propres à l’histoire de ce canton. Et pour cause, elle est encore bien axée sur le contrôle et le règlementaire. Le plus connu est la mise en place de commissions qui rendent des rapports qui resteront dans un tiroir. Ce qui correspond en fait à un mode d’évitement paradoxal.
"Le synode se méfie de l’État, le CS se méfie du synode, les pasteurs, les régions et les paroisses se méfient du CS"
En résumé : l’État contrôle le synode (organe délibérant); le synode contrôle le Conseil Synodal (CS - organe exécutif); le CS contrôle les pasteurs et diacres, les régions et les paroisses ; les conseils de paroisse ne contrôlent plus grande monde... Quant à la faculté la faculté de théologie et sciences des religions, elle se positionne hors contrôle et hors champ ecclésial, mais s’octroie une posture en surplomb, aux allures de contrôle. Du coup la faculté perd ses liens avec l’Église. Le synode se méfie de l’État, le CS se méfie du synode, les pasteurs, les régions et les paroisses se méfient du CS. La créativité et l’élan de tous sont un peu bridés. Une ambiance de contrôle peu séduisante pour l’extérieur.
Il ne s’agit pas de trouver des coupables à cet état de fait, mais de prendre conscience de son origine, des raisons de son inefficacité et de ses potentialités de changement. Elle provient sans doute d’un subtil mélange d’esprit vaudois – ce rapport compliqué à l’autorité, de rigueur éthique protestante – ce sens de la responsabilité, et d’une mémoire encore vive, teintée de nostalgie où Église et État ne faisaient qu’un. Mais à l’heure où le protestantisme vaudois est devenu minoritaire, la « potion » est inefficace, voire contre-productive. Le christianisme ne peut plus rayonner par le biais d’un contrôle moral ou dogmatique sur la société et la rigueur éthique peine à faire reconnaître sa plus-value dans une société foncièrement individualiste et hédoniste.
"Le nouveau mode de gouvernance qui advient est celui de l’attention repositionnée"
Malgré certaines apparences, la culture interne a pourtant commencé à changer grâce à un travail collectif. Tous les acteurs du jeu tentent, chacun depuis leur place, de faire bouger les lignes, exprimant publiquement la lourdeur et l’usure de l’institution. Mais le dispositif dominant, contrôlant et prescriptif, n’a pas (encore) face à lui, un contrepoids suffisamment étoffé, testé et donc reconnu, pour prendre toute la place qu’il mérite. Ce mode de gouvernance qui advient est, peu ou prou, celui de l’attention repositionnée. L’attention commune « EERV » que nous nous portons entre personnes et corps constitués, réelle, profonde, authentique, tend à se « dénombriliser ». Elle se laisse bousculer par l’Évangile, se positionne nouvellement autour d’urgences « extérieures ». Autrement dit la part « contrôle » est soumise à une perspective extérieure, non réglementariste. Sur les urgences, tout le monde ou presque se retrouve, du réchauffement climatique à une solidarité avec les plus vulnérables, en passant par une foi joyeuse et pertinente. En un temps plutôt difficile pour toutes les institutions, le signe est encourageant.