Mariage pour tous: la messe est dite?
«L’homosexualité correspond aussi à la volonté créatrice de Dieu.» L’interview de G. Locher il y a un mois dans le Tages-Anzeiger, en faveur du mariage pour tous, a créé une onde de choc. C’était prévisible et sans doute attendu du président de la Fédération des églises protestantes de Suisse (FEPS). Comme la thématique est clivante et complexe, un travail de décryptage s’impose pour permettre une discussion au sein du protestantisme réformé, si ce n’est plus largement.
De la culture à la nature
On ne perçoit jamais mieux les ressorts profonds d’une argumentation que quand il faut la résumer en deux phrases. Si l’homosexualité n’est pas un bug génétique, une «faille de programmation», comment l’appréhender? Pourquoi ne pas dire qu’elle est une bénédiction au même titre que l’hétérosexualité? C’est le pas, nouveau, que la FEPS invite ses Eglises membres à franchir. Ce faisant, elle déplace le socle référentiel du débat. Elle invite à passer du champ traditionnel de la culture à celui, non moins traditionnel, de la nature. Le champ de la culture, c’est du «fluide»; c’est le travail d’interprétation autour du décalage des condamnations bibliques de l’homosexualité. Le champ de la nature, c’est du «solide», celui d’un donné naturel à (re)visiter, pour en tirer des conséquences théologiques et éthiques.
Une nouvelle théologie naturelle se dessine: Dieu le Créateur a aussi voulu l’homosexualité
Jusqu’à présent, le champ de la nature était assumé par la théologie naturelle, qui a marginalisé – pour ne pas dire plus – l’homosexualité. Depuis des siècles, elle dit que Dieu le Créateur a voulu l’hétérosexualité parce qu’elle seule inscrit la sexualité sur la promesse de la procréation. Sur l’homosexualité, le discours est plus embarrassé. Evidemment. Avec la position de la FEPS, une nouvelle théologie naturelle se dessine: Dieu le Créateur a aussi voulu l’homosexualité, comme une autre forme de compagnonnage, non légitimée par la procréation et la différence sexuelle.
Paysage inédit
Dans le monde protestant, cette position instaure un paysage inédit. Après avoir critiqué en long et en large le catholicisme, lui reprochant de tirer de la nature des observations qu’il «sanctuarise» théologiquement et éthiquement, voilà que la FEPS semble faire de même. Certes pour arriver à des conclusions diamétralement opposées en ce qui concerne le mariage pour tous. L’épreuve de vérité de la position réformée n’est donc pas d’abord au niveau du fond mais de la forme. Quand un président-évêque dit: «C’est cela que l’Eglise doit transmettre», il profile un argument d’autorité. Quand il rajoute: «Dire non à cette position serait un scandale», il «sanctuarise» une position. Peut-on ne pas être d’accord, refuser d’aller si loin? Comment discuter avec des arguments d’autorité? Les semaines qui viennent vont être intéressantes.
Chronique publiée initialement dans Le Temps du mardi 17 septembre 2019