De l’herbe plus verte que nature : l’âge adulte de la consommation (3/5)
Comment être des consommateurs adultes ? Dans le tableau du Ranz des vaches de la fête des vignerons -climax émotionnel de l’édition 2019, l’herbe du sol en leds électroluminescentes est plus verte que nature. C’est un peu comme au centre commercial où les fraises d’Espagne, sans goût, ont une si belle apparence. Cette observation nous place au cœur d’une dimension essentielle du renouvellement de l‘alliance avec la nature. Comment devenir des consommateurs adultes ? En fait ce second pacte de l’alliance ne relève pas du renoncement à l’anéantissement comme le premier (2/5) mais de la prise en compte de l’infertilité. D’ailleurs ne fait-elle pas la une de l’actualité ? La semaine dernière le GIEC rendait à Genève un rapport sur l’appauvrissement des sols, qui menace à terme l’approvisionnement de la planète. Les scientifiques interrogés sur les moyens d’inverser cette tendance, ont mentionné toute une série de facteurs qui, en bout de chaîne, lient nature et corps humain… au travers de ce qu’il ingurgite -moins de viande par exemple. C’est le renouvellement d’une alliance aux enjeux charnels dont il est question, via la nourriture.
Les liens homme-nature sont charnels.
A priori les alliances qui touchent à la nourriture ne sont pas les plus simples. Il suffit de prendre l’histoire des religions et les préceptes liés à ce qu’il est licite ou non d’ingurgiter. Végétarien, Kasher, Halal, ces catégories ont toujours une implication quotidienne sur des millions de personnes, hindoues, juives et musulmanes. Mais de nouvelles catégories ont émergé, sans médiation religieuse explicite. Plus n’est besoin de souligner l’importance que prennent aujourd’hui les labels bio ainsi que les modes d’alimentation. C’est tellement vrai, que personne ne peut vraiment échapper à une catégorisation, végan, végétarien ou flexitariste, un végétarisme doux et sans doute plus consensuel sous nos latitudes, de quoi faire baisser la pression sur ceux qui ne veulent pas renoncer complètement à la viande. L’impact des labels/étiquettes est de plus en plus prenant, invitant chacun à (re)définir ses liens à la nourriture.
Les gestes sont plus efficaces que les mots
Dis-moi ton rapport à la nourriture et à l’alimentation… et je te dirai qui tu es ? Que cache l’injonction à se dire sous cet angle ? Le besoin de se situer, d’appartenir à une famille symbolique… quoique de plus en plus réelle et exclusive, selon la radicalité des choix opérés. Ce qui est frappant c’est le décalage entre le caractère personnel du choix… et sa visée collective. En effet, dans les récits qui les légitiment, ces choix, tout personnel soient-ils, visent une transformation à une large échelle. Celle du collectif, du planétaire. Il y a donc une forme de protestation silencieuse à l’attention de tous les humains. En fait les gestes présidant aux choix de nourriture, en l’occurrence les renoncements, sont plus efficaces que les mots pour instaurer une alliance nouvelle avec la nature. Choisir un fruit qui a du goût mais n’est pas parfait dans son apparence, vaut mieux qu’écrire aux grands distributeurs pour dire que leurs fruits, somptueux à l’extérieur, ne sont ni mûrs ni bons.
Le Vivant est au cœur des vivants, garant symbolique de la fertilité
Quand les sols s’appauvrissent, que la fécondité des spermes de certaines populations est en baisse, une coupure s’impose, pour s’inscrire dans de nouvelles promesses. Nous sommes responsables de la vie. Vie des humains autant que vie du règne animal. L’enjeu de cette Alliance à renouveler c’est la fécondité du créé. Le Premier Testament raconte l’alliance de Dieu avec Abraham, un homme qui n’a pas de descendance. Le premier moment de l’Alliance (Gn 15, 8-17) voit le feu de Dieu passer entre des morceaux de chair. Le Vivant se porte ainsi garant de la vie des humains. Le Vivant est au cœur des vivants. S’en suivra la circoncision physique du patriarche et la naissance d'Isaac.
Dans le monde antique, le symbole de cette circoncision du sexe -lieu par excellence de la promesse de fertilité, est l’entrée dans une nouvelle situation de vie, civile ou/et religieuse. Aujourd’hui ne faut-il pas renouveler l’Alliance avec la nature par une circoncision de ce que nous ingurgitons ? Elle a pour lieu de célébration les centres commerciaux. Et les rites à créer ont pour fonction de nous faire entrer dans l’âge adulte de la consommation. C’est à ce prix que nous pouvons affronter à nouveaux frais une question immémoriale, celle de l’infertilité.