Une décision sans précédent des protestants genevois

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[pas de légende]

Une décision sans précédent des protestants genevois

Par Michel Kocher
3 octobre 2018

La récente décision de l’EPG d’ouvrir à des personnes d’autres confessions ou religions la possibilité d’être membre de l’Église, sans renoncer à leurs autres adhésions, est à saluer comme une évolution majeure, courageuse et significative, quasi sans précédent en tradition réformée. Elle correspond à un changement de paradigme, l’entrée dans une nouvelle manière de concevoir le brassage des croyances et des valeurs. La part d’exclusive d’une identité croyante, qui a dominé pour ne pas dire constitué la chrétienté, se cristallisant dans une géographie de territoires confessionnels, devient secondaire. Un autre élément prend le dessus: une identité croyante peut évoluer, elle est dans les mains des croyants eux-mêmes, qui trient et gardent ce qui leur correspond. D’ailleurs, ces derniers n’ont pas attendu l’EPG pour se sentir des proximités avec elle, tout en appartenant à une autre tradition. Le mérite de cette Église est d’avoir écouté ces voix et engagé un processus leur ouvrant une double appartenance.

C’est précisément du côté de l’appartenance que la décision de l’EPG ouvre un champ d’interrogation fécond et un peu vertigineux. Si les identités croyantes sont aujourd’hui complexes, multiples, croisées, les appartenances sont encore largement encadrées par des registres, des fichiers, des droits de vote et d’éligibilité, des financements, bref par toute une culture qui n’a pas évolué aussi vite. Tant mieux d’ailleurs. C’est bien à la solidité de cette culture de solidarité et d’engagements que les communautés chrétiennes doivent leurs moyens, leurs actions, leur pérennité, leurs capacités de témoignage et d’engagement diaconal. Comment cette culture va-t-elle s’adapter pour accueillir des identités croyantes plus fluides? Nous aimerions bien le savoir. Sans être devins, nous avons l’intuition que l’adaptation sera possible… pour autant que l’attention reste focalisée sur le sens profond de ce qu’est une Église.

Vous vous souvenez de cette envolée de Paul dans la première épître aux Corinthiens (3, 21s). «Tout est à vous, soit Paul, soit Apollos, soit Céphas, soit le monde, soit la vie, soit la mort, soit les choses présentes, soit les choses à venir. Tout est à vous et vous êtes à Christ». C’est là que se trouve le sens profond de l’appartenance ecclésiale. Non pas dans les règlements institutionnels certes utiles, mais dans une spiritualité chrétienne, qui part d’un centre dont personne n’est propriétaire. Disons-le en forme ramassée, à la manière de Saint Paul: ce n’est pas moi qui choisis d’appartenir au Christ, mais le Christ qui me fait découvrir que je lui appartiens, dans une relation exigeante au carrefour du don, de l’échange et de la fidélité à ma propre histoire. Autrement dit, l’enjeu de la décision de l’EPG est autant à l’externe qu’à l’interne. Il n’est pas seulement de permettre à des croyants issus d’autres confessions ou religions de pouvoir plus facilement se solidariser avec une communauté historique et constituée. Il est aussi à l’interne. Loin d’alimenter une forme de «ratisser large» opportuniste, ce que d’aucuns ne manqueront pas de pointer du doigt face à une Église qui perd des membres depuis des décennies, cette décision implique une solidité théologique et une force de conviction qu’elle devra manifester, à la hauteur du courage qui a présidé à sa décision. C’est tout le bien que nous lui souhaitons.