L’unité de la foi dans la diversité
Qu’en est-il d’une base théologique commune aux différentes Églises réformées et jusqu’où va la diversité en leur sein ? Voici deux questions cruciales qui se posent aux Églises réformées, en particulier pour celles qui ont renoncé aux confessions de foi de l’Église ancienne et à celles du 16e siècle. A la suite du processus de sécularisation, le protestantisme a en effet substitué une conception « subjective » de la confession de foi à la conception « objective » soutenue par les réformateurs.[1]
Pour Jean Calvin, je le rappelle, la communion dans la confession de la foi constitue le cœur de l’unité visible de l’Église. Il a cette parole lapidaire : « L’unité qui est dans la vérité ».[2]
Aujourd’hui les réformés, champions de la diversité remplaceraient plutôt l’unité par le mot diversité ! Alors comment articuler diversité et unité ? Dieu aime-t-il davantage l’une que l’autre ?
Et de quelle diversité parle-t-on ? Un document du Conseil œcuméniques des Églises (COE) appelle à la fois à valoriser la diversité théologique, mais aussi à distinguer entre la diversité voulue par Dieu et les différences qui divisent les Églises : « Certaines de ces différences sont des expressions de la grâce et de la bonté de Dieu : il s’agit de les discerner dans la grâce de Dieu, avec l’aide de l’Esprit Saint. D’autres différences divisent l’Église ; il s’agit de les surmonter par les dons de l’Esprit que sont la foi, l’espérance et l’amour, de façon que la séparation et l’exclusion n’aient pas le dernier mot. Le dessein de Dieu est de « mener les temps à l’accomplissement, réunir l’univers entier sous un seul chef » (Ep 1,10), en réconciliant les divisions entre les êtres humains ». [3] Ce discernement est à exercer entre les Églises mais aussi (et d’abord) à l’intérieur de chaque Église.
L’invitation à discerner nous vient aussi du mouvement œcuménique lui-même qui s’interroge sur l’unité de la foi comme condition de la communion ecclésiale. C’est ainsi que le premier article de la Charte œcuménique européenne est un appel à l’unité de la foi et à la persévérance pour avoir une compréhension commune de l’Évangile. Pour nous y aider, la confession de foi de Nicée-Constantinople est citée par la Charta oecumenica.
Du côté catholique, le décret sur l’œcuménisme de Vatican II reprend l’adage « unité dans les choses nécessaires, liberté dans les choses secondaires, charité en toutes choses ». Il affirme que les chrétiens « conservant l’unité dans ce qui est nécessaire…gardent la liberté qui leur est due, qu’il s’agisse de formes diverses de la vie spirituelle et de la discipline, de la variété des rites liturgiques, et même de l’élaboration de la vérité révélée ». Il estime que « les diverses formulations théologiques doivent souvent être considérées comme plus complémentaires qu’opposées ». [4]
Un réformé qui valorise la diversité ne peut être que d’accord avec des telles affirmations. Sur l’essentiel révélé dans les Écritures, nous avons à chercher l’unité, même si les formulations sur la vérité révélée peuvent varier grandement. La diversité, tant à l’interne d’une tradition qu’entre les traditions chrétiennes, est une richesse.
Elle tire son origine des charismes variés que Dieu a donné aux Églises et est à la base de « l’échange des dons », une démarche récente qui donne un souffle nouveau à l’oecuménisme. Ces charismes sont des dons à partager, non des biens à garder jalousement. Ils ne sont des richesses que dans l’amour fraternel. Si l’amour vient à manquer, ils ne servent à rien (1 Cor 13,1-3).
Pour respecter la diversité des élaborations doctrinales de l’unique foi, le Concile Vatican II avait distingué entre la substance et la forme du dogme et repris le concept de « hiérarchie des vérités ». Au cours des âges, la vérité de l’Évangile a été formulée de diverses manières et tous les énoncés n’ont pas la même importance doctrinale.[5]
Cette notion de hiérarchie des vérités, qui jouera un rôle si important dans l’ouverture de l’Église catholique romaine à l’oecuménisme apparaît déjà chez Calvin. Voici ce qu’il écrit dans l’Institution de la Religion chrétienne : « Tous les articles de la doctrine de Dieu ne sont point d’une même sorte. Il y en a certains dont la connaissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter...Il y en a d’autres qui sont en dispute parmi les Églises, et néanmoins ne rompent pas leur unité…Ce sont les paroles de l’Apôtre, que si nous voulons être parfaits, il nous faut avoir un même sentiment ; au reste, que si nous avons quelque diversité, Dieu nous révèlera ce qui en est (Phil. 3,15) » (IV, 1,12).
Pour maintenir l’unité de l’Église, Calvin estime en effet nécessaire de distinguer les points fondamentaux des Écritures, qu’il est indispensable de confesser (telle la divinité du Christ, sa mort réconciliatrice, sa résurrection et le salut par grâce), des points secondaires, que les Églises peuvent comprendre de diverses manières, mais qui ne rompent pas l’unité entre les elles. Voici comment il dit cet essentiel : « L’Église est toute la multitude des hommes, laquelle étant éparse en diverses régions du monde, fait une même profession d’honorer Dieu et Jésus-Christ, a le baptême pour témoignage de sa foi, en participant à la cène affirme avoir unité en doctrine et en charité, est consentante à la Parole de Dieu, dont elle veut garder la prédication, suivant le commandement de Jésus-Christ ». (Institution IV, 1,7).
De manière analogue, la Déclaration commune sur la doctrine de la justification signée en 1999 entre l’Église catholique et la Fédération luthérienne mondiale a proposé la méthode du « consensus différencié ». La Communion mondiale des Églises réformées l’a également signée en 2017.[6] Cette méthode reconnaît que des diversités légitimes dans le langage et la théologie ne constituent pas des motifs de division entre Églises, car l’unique foi peut être dite dans « une différence de langages, de formes théologiques et d’accentuations particulières » (§40).
Cependant certains courants du protestantisme ont valorisé la liberté doctrinale en la considérant comme la plus haute instance, à tel point que l’expression « unité de la foi » est devenue suspecte.
Dans mon Église – l’Église évangélique réformée de Suisse à laquelle appartient celle du canton de Vaud – ce courant a pris une place prépondérante. J’y reviendrai dans un prochain article.
[1] Cf. Confessions et catéchismes de la foi réformée. Labor et Fides, Genève, 1986, p. 14s
[2] Commentaire de l’Épître aux Romains 16,17. Commentaires de J. Calvin sur le NT, Tome IV. Kerygma, Aix-en-Provence, 1978, p. 354 (1539).
[3] Appelés à être l'Église une. https://www.oikoumene.org/fr/resources/documents/called-to-be-the-one-church-as-adopted
[4] Unitatis Redintegratio, § 17 et 94
[5] Cf. Vincent Holzer, Le renouvellement du « principe dogmatique » en théologie contemporaine. Statut et postérité d'une « science » du « développement du dogme ». Recherche de Science religieuse 2006/1 (Tome 94), p. 99-18
[6] Elle a été précédée par l’Église méthodiste et suivie par la Communion anglicane. A l’occasion du 20e anniversaire de cette déclaration, ces cinq communions mondiales d’Églises ont publié une prière commune laquelle résume les apports de chaque confession. Cf. https://agck.ch/wp-content/uploads/2019/10/liturgy_jddj_thanksgiving_2019_fr.pdf