Courage, vivons!

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Courage, vivons!

Par Marie-Laure Krafft Golay
3 septembre 2020

Depuis la mi-mars, je me surprends à rêver que les regards entre les gens dans la rue, dans les magasins, ne sont pas si souvent méfiants, agressifs, fuyants. Je rêve que nous prenons soin les uns des autres avec empathie, affection, amitié, que nous faisons attention, mais sans fantasmer la résurgence d’une grande peste genre Moyen-Âge. Je rêve que l’obsession du risque zéro, société propre et désinfectée, sans maladie et sans fin de vie, n’est pas entrain d’enfler et d’occuper tout l’espace. Ce serait alors un cauchemar.

Oui, je me surprends à rêver éveillée, lorsque je n’ai pas de bouffées de colère devant la baisse de niveau du débat ambiant. Au lieu de parler soin et tendresse, accompagnement de la maladie et de la souffrance, pas seulement physiques, de renforcer les liens entre les générations, au lieu de méditer sur notre condition de créatures, et de vivre à fond la vie parce que la mort en fait partie, nous parlons stocks de masques, litres de désinfectant pour les mains, prudence, méfiance, distance, contrôle, danger. Nous parlons coûts de l’aide, argent prêté surtout pas donné, impact économique. Et c’est la catastrophe pour tant d’artisans, d’artistes, de travailleurs, d’ouvriers qui sont en train de tout perdre. C’est tellement navrant, entend-on… ben oui, c’est désolant. Et oui, ça se prolonge: de mars à juin, de juin à septembre, de septembre à décembre, et même déjà à janvier de l’année prochaine. Et ensuite ? De janvier à mars, puis de mars à juin, trois petits tours et on continue ? Pour aller où ? Hygiénisme absolutiste ? Masque partout et pour tout le monde dès qu’une maladie se pointe ? Et tout ce qui tue sans virus, on en fait quoi ? Comment on gère la dépression, l’angoisse qui mène au suicide ? Et les grands-parents privés d’amour et de famille tant on leur a fait peur, et qui se laissent mourir d’être désaimés de force ? Et ces cérémonies funèbres d’où la consolation s’absente derrière des morceaux de papier bleu, entre bancs et chaises vides ? Et ces rencontres de familles reportées aux calendes grecques ou annulées, alors qu’on sait que chaque moment partagé nous rend vivants, même avec un mètre cinquante de distance ? Et ces "task forces" et cellules de crise, souvent non scientifiques, qui édictent des règles plus dures encore que la Confédération, provocant de nombreuses "petites morts" presque silencieuses, avec à la clé des deuils à faire, des renoncements, des bras qui se baissent, et des chagrins que l'on tait, parce que si ce n'est pas la santé physique peu importe!

« Tu te rends compte, tu pourrais mourir, toi, tes proches, d’autres. Sois un peu responsable ! tu devrais obéir aux règles, et c’est tout ! » Eh bien je respecte ces règles de base, et oui, je suis responsable, précisément : de rappeler la force et la beauté de l’humanité, des liens, de l’entraide, des contacts ; je suis aussi coresponsable pour dénoncer la fuite en avant, le trouillomètre à fond parce que, ô surprise, nous redécouvrons que nous sommes tous mortels ! Je me sens responsable de me battre, avec d’autres courageux —merci à elles et à eux—, de ramer à contre-courant, quitte à me faire épingler, pour tenter de redonner au débat une touche de dimension verticale, spirituelle, axée sur la confiance et l’espérance, avec un peu de joie pour éclairer le tout ! Des mots en pleine décrépitude, au point que je me fais du souci pour leur survie, et ce n’est pas le coronavirus qui va les tuer, si ça continue. Non, je ne suis pas scientifique. Oui, je crois les experts qui disent que ce virus peut être dangereux et qu’il a fait des dégâts. Evidemment j’espère qu’il n’en fera pas trop de supplémentaires! De tout coeur mes pensées et ma sympathie aux personnes touchées de près ou de loin, aux gens qui courent de gros risques. Mais je nous en supplie : ne laissons pas la peur devenir notre seul socle d’existence ! Ne la laissons pas dominer et saccager nos relations, nos amitiés, nos rencontres ! Ne la laissons pas prendre le contrôle de nos émotions, de toutes nos décisions. Restons unis, ensemble, avec le cœur, les mains, les pensées, et pas seulement avec un masque et une bouteille de désinfectant ! Quatre murs, un masque, l’angoisse, la solitude, ce n’est pas une vie. Il y a tant à bâtir, à espérer, à réinventer. Courage, vivons !