«Réformés» provoque encore!
Quelques lectrices et lecteurs de «Réformés» se sont offusqués de notre dernier numéro. Les auteur·e·s de la poignée de courriers reçus déplorent souvent la présence de trois éléments dans cette édition de l’avent et de Noël. Tout d’abord, la bande dessinée «la vie moderne de Jésus et de son fidèle clou rouillé Clavius» qui confronte nos héros à ce que l’on peut imaginer être une contre-manifestation à la « Manif pour tous ». Ensuite deux articles que je signe suscitent les foudres d’une partie de notre lectorat : une enquête sur l’apparition du «notre Mère» à la place ou à côté du «notre Père» lors de certains cultes et une interview d’une chercheuse de l’Université de Lausanne au sujet des changements que la procréation médicalement assistée peut provoquer dans nos conceptions légales et anthropologiques des relations familiales.
Quel tiercé! La rédaction de «Réformés» a-t-elle décidé de provoquer ses lecteurs? Les Églises réformées sont-elles prêtes à tout tolérer pour correspondre à l’air du temps?
Respect de la liberté rédactionnelle
Permettez-moi de répondre d’abord à cette dernière question. «Réformés» en tous cas dans ses pages éditoriales n’est ni parole d’Évangile, ni même communiqué d’Église! Les Églises réformées des cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel, Berne et du Jura nous financent et nous confient le mandat de produire cette publication, mais nos écrits n’ont pas valeur de directives ecclésiales ou de message des conseils synodaux: nous ne sommes que des journalistes. Et c’est à ce titre, bien sûr que nous tâchons d’accompagner les réflexions du monde réformé; d’en apporter des éclairages variés; de donner des clés de lectures; de casser des clichés, mais nous ne voulons pas nous substituer à des ministres du culte. Notre rôle est autre. C’est en particulier le cas du texte que vous êtes en train de lire où je me permets de donner quelques clés pour expliquer ce qui a guidé certaines de nos décisions.
Provoquer dans le sens de susciter
S’agissait-il alors de provoquer? Certainement pas dans le deuxième sens que ce verbe a dans le dictionnaire: agacer, attaquer, braver. Mais probablement que si l’on s’en tient au sens premier de ce terme: susciter, encourager, entraîner; je pourrais répondre «oui». Oui, nous avons voulu, comme chaque mois faire réfléchir, donner des éléments factuels pour permettre le débat, décrypter, remettre en cause les clichés. Alors oui, la frontière est parfois mince entre ces deux acceptations du mot. Je suis navré que certaines de nos lignes ou certains de nos traits puissent heurter et j’encourage ceux qui sont dans cette situation à les prendre pour ce qu’elles sont : des babillages ou gribouillages de journalistes. Mais j’ose croire qu’une majorité les recevra comme des occasions de réfléchir et pourquoi pas de méditer.
La beauté du doute
Je crois que l’un des joyaux du christianisme c’est justement de laisser place au débat, de reconnaître finalement assez peu d’absolus. Quatre évangiles, récits de la vie de Jésus contradictoire sur certains points, et de manière générale un corpus qui évolue sur sa façon d’aborder plusieurs débats théologiques: on peut voir ça comme des contradictions au sein de la Parole, je le vois plutôt comme les traces inspirantes d’un débat entre croyants.
Ma foi d’adolescent accordait beaucoup d’importance à la confiance en Dieu, vivait tout moment de doute comme défaillance. Puis la théologie m’a confronté à de nombreuses remises en question et aujourd’hui je suis fortement attaché à cette Église qui est en dialogue permanent qui s’adapte à son époque aujourd’hui comme hier. Il y a quelques années, un couple m’avouait douter 23 h par jour, mais que pour l’heure qui restait tout valait la peine. Ce récit m’a marqué et j’avoue que depuis je me méfie des théologies qui diabolisent le doute : absolutiser la foi n’est que mensonge — cela n’est pas possible — et déviance — cela conduit à se couper du monde, or l’Église est et doit rester actrice de ce monde —. Pour résumer et pour rendre hommage à une grande dame de la chanson française qui vient de s’éteindre, j’avouerais que «j’aime les gens qui doutent».
Une bédé absurde qui nous renvoie à nous-mêmes
Après cette longue introduction -il me semblait important de préciser d’où je parle- permettez-moi de revenir aux éléments qui fâchent. La bédé tout d’abord. «La vie moderne de Jésus et de son fidèle clou rouillé Clavius» imagine le retour du Jésus historique dans notre monde. Une lectrice s’émeut de ce clou qui est toujours plus malin que Jésus. Faut-il le préciser, mais il s’agit d’une fiction: c’est absurde un clou qui parle! Le ressort comique de cette série fonctionne sur le regard que pourrait porter sur notre société un Jésus revenant après 2000 ans d’absence et à qui il manquerait forcément quelques clés de lectures. Au-delà de l’humour, cette astuce vise à nous faire réfléchir d’une part à notre société et d’autre part aux valeurs que nous attribuons à Jésus. À titre personnel, je trouve que cette série touche régulièrement juste, mettant le doigt sur certaines de nos incohérences.
Dans ce dernier épisode, Jésus est représenté devant une pancarte «Jésus avait deux pères et une mère porteuse». Une affirmation que de toute évidence, il rejette. Représenter cette manifestation n’est pas dire que nous apportons notre soutien aux revendications représentées sur les pancartes dessinées: c’est un clin d’œil à notre actualité. Ce slogan existe et il est régulièrement brandi dans les manifestations. Plutôt que de s’émouvoir de ce qu’il apparaisse dans nos pages, je vous invite à prendre un moment pour réfléchir : sur quels éléments basez-vous vos prises de position en matière de libération des mœurs. Comment répondriez-vous à quelqu’un qui vous ferait remarquer que Jésus n’est justement pas représenté comme issu d’une famille idéale? Pourquoi la religion est-elle perçue comme rétrograde et pourquoi est-elle cible privilégiée des mouvements libéraux? Je pense qu’Eugène et Tirabosco jouent parfaitement ici leur rôle de poil à gratter…
Dieu est tout autre
Quant aux critiques concernant l’article titré «Notre Mère qui es aux cieux», je dois avouer que je ne comprends pas! Attribuer à Dieu des valeurs paternelles, voire masculines, reste valable mais ne suffit pas. «Ce qui est important, c’est de se rendre compte que Dieu, même dans les textes bibliques, ne se laisse pas enfermer dans une seule présentation. «Les auteurs [bibliques] essaient de mettre des mots pour expliquer qui est Dieu. On ne devrait donc pas trouver scandaleux d’essayer d’exprimer Dieu avec d’autres images, d’autres mots, et rester conscient que toute image pour le décrire reste insuffisante», explique la chercheuse Lauriane Savoy dans ce texte. Afin de ne pas résumer Dieu à ce à quoi on le compare pour tenter de l’expliquer, il me semble salutaire de ne pas sacraliser par trop une comparaison. Ce que la Bible fait d’ailleurs aussi, sur son site, le pasteur Marc Pernot relève pas moins de six passages où Dieu est comparé à une maman!
La PMA implique des changements profonds des modèles de société
Le problème des images c’est que leur perception est aussi influencée par l’arrière-fond culturel de celui qui les reçoit. Comparer Dieu à un père, comme l’a fait Jésus lui-même, ne va pas être perçu de la même façon suivant que l’on conçoit la figure paternelle comme détentrice d’autorité, modèle ou copain. À ce titre l’interview de la chercheuse Maria Rocca i Escoda m’a semblé particulièrement éclairante. Qu’on le veuille ou non, les nouvelles pratiques médicales et sociales ont un impact sur les idéaux de société et les rôles que nous attribuons au membre d’une famille dans notre culture. J’ai trouvé passionnant l’échange que j’ai eu avec cette chercheuse, j’espère être parvenu dans ma retranscription de l’interview, à partager avec les lecteurs et lectrices quelque chose du vertige que cette réflexion a pu susciter.
J’espère donc que ce dernier numéro de «Réformés» a provoqué des discussions passionnantes et des échanges riches dans les familles croyantes ou qu’il aura cassé les préjugés de certain·e·s distancé·e·s qui voient l’Église comme un machin qui ne vit pas avec son temps. Si tel était le cas, j’estimerais que l’objectif est atteint.