Le mariage pour tous, la morale, la théologie et moi

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Le mariage pour tous, la morale, la théologie et moi

Par Jérôme Grandet
24 septembre 2021

En ce moment, la question du mariage pour tous fait débat, et je me trouve régulièrement confronté à des personnes me donnant des « arguments bibliques » pour ou contre cette thématique. Or, « Bible en main », il y a matière à justifier tout et son contraire, ce qui personnellement tend à m’inciter à croire que le cœur du message évangélique ne se situe pas sur le fait de trancher entre ce qui est bien et ce qui est mal, ce que l’on peut/doit et ne peut/doit pas faire. Pour ma part, j’ai développé un rapport au texte plus personnel et plus intime : j’estime qu’envisager la Bible comme un mode d’emploi de vie qui nous montre la voie morale juste à suivre c’est se mettre à distance du sujet à propos duquel ses textes sont les plus parlant : soi-même.

« Soi-même » non pas dans une optique égocentrique, mais dans une optique de reflet, de miroir. La Bible est certes un ouvrage qui me dit quelque chose des époques auxquelles ses rédacteurs ont appartenu, mais qui ne m’impose pas de reprendre à la lettre la morale que ces gens se sont choisis : bien plus encore il me parait sain de penser mon époque afin d’y ancrer une morale que j’aurais choisie et pensée en fonction de ce que je crois être la centralité du message évangélique. Un message non moral en soi, mais qui met l’accent sur la réciprocité et l’altérité, entrainant un changement de regard (une « metanoia ») sur mes relations au soi, aux autres et au monde, me permettant ensuite de penser, choisir et d’asseoir une morale en cohérence avec cette posture nouvelle. En fin de compte, la question que je me pose à la lecture des textes est éminemment morale et se situe dans le mouvement de moi à moi au lieu de penser pour les autres : « comment être une bonne et une meilleure personne » ? Donc qu’il s’agisse de la Bible ou de n’importe quelle autre lecture, je tends plutôt à viser ma construction personnelle plus qu’une justification morale de ce qui est bien ou mal à mes yeux (ou prétendument aux yeux de la Bible). Ce n’est donc pas pour confirmer ma morale que je lis les textes, mais bien plutôt pour la confronter.

Les histoires que je lis dans la Bible parlent de moi. Les personnages qui peuplent ces histoires sont mes amis, car ils me parlent de moi, et se posent les mêmes questions sur la vie que moi. Les réponses qu’ils donnent à ces questions dépendent de facteurs culturels contextuels tant que de facteurs dépendant de leur propre expérience. En cela, les questions que je me pose ne sont pas théologiques en soi mais plutôt existentielles. Elles ne deviennent théologiques que parce que la théologie s’impose dans le milieu dans lequel j’évolue. Car la question de fond que je me pose n’est pas « qu’est-ce que ce texte me dit de Dieu ou de la religion », mais bien « qu’est-ce que ce texte me dit de moi ». Ainsi, dans un débat comme celui du mariage pour tous, la théologie n’est à mes yeux qu’un outil que l’on utilise pour justifier sa morale, en choisissant telle ou telle interprétation, tel ou tel théologien. Car comme je l’ai dit, « Bible en main », on peut tout justifier. Or, il me semble bien plutôt que les textes proposent une voie initiatique du moi vers soi. Un chemin qui nous permet de sortir de la confusion (du tohu-bohu), pour différencier les choses. Il y a moi, mes affects, les croyances, le savoir, l’époque, les choses et personnes avec lesquelles j’interagis, la morale, la théologie, la politique, etc… et ces choses sont dissociées, différenciées les unes des autres. Ce chemin intérieur vers le soi est intimement corrélé au chemin vers l’autre dans ce qu’il est autre que moi. Et c’est sur ce chemin que je sillonne au travers de mes lectures, dans les relations que je tisse et que je vis, et plus globalement dans ma vie de tous les jours.

Ce que je crois, c’est que nous sommes tous dépositaires d’une morale, que nous le voulions ou non. Le tout est d’en prendre conscience et de savoir comment elle se construit. Ma compréhension des textes bibliques et la manière qu’ils ont de me pousser tant vers l’autre que vers moi-même ne sont, encore une fois pas morales en soi, mais m’incitent à choisir une morale qui s’ancre dans la maxime de Sébastien-Roch Nicolas de Chamfort : « Jouis et fais jouir, sans faire de mal ni à toi, ni à personne, voilà je crois, toute la morale ». Dit autrement : « profite de ta jeunesse » dit l’Ecclésiaste, et « aime ton prochain comme toi-même » dit Jésus. Ce qui me fait placer mon centre moral sur l’intégrité de l’autre tout autant que sur la mienne.

Partant de là, la question que je me pose aujourd’hui est celle-ci : est-ce qu’il est contre ma morale, que deux personnes s’aiment, se désirent et souhaitent s’engager ensemble dans un projet de vie à deux et peut-être même de famille au travers d’un mariage ? La réponse est non, et je ne vois dès lors pas le problème d’accepter le mariage pour tous. Je ne comprends d’ailleurs pas comment l’on peut être contre cela dès lors que le projet est voulu et consenti par les partenaires concernés. Ainsi, et en fait de manière beaucoup plus large, d’après la vision et le rapport que j’ai aux textes bibliques, il ne me viendrait pas à l’idée de voter pour ou contre quelque chose simplement parce que « la Bible dit que… ». Je crois qu’il faut dépasser cette dialectique et aller plus loin. Beaucoup plus loin.

Je crois également que nos théologies tout comme nos questions existentielles sont et doivent être influençables et influencées par la culture, par l’état du savoir et par nos expériences, le tout confronté à l’intersubjectivité que les relations entrainent. Et non premièrement par l’interprétation de théologiens ou par l’institution ecclésiale et les éventuels credos qu’elle embrasse. Sinon, ces questions sont désincarnées et volent dans le monde des idées et des concepts. Car si tant est que Dieu existe, et qu’il aurait donné une parole vivante à discerner, alors celle-ci transcenderait non seulement les époques, mais aussi les individus, s’adressant de manière accessible à tout un chacun et ce sans le concours de théologiens ou d’une institution. C’est la question de l’incarnation plus que celle des idées ou des credos qui se pose ici. La morale, quant à elle, doit être le reflet de la posture de vie que nous choisissons : en l’occurrence, pour ma part, une posture de vie qui s’ancre dans l’altérité, l’accueil de l’autre, et des notions comme la dignité, l’égalité des droits et des devoirs, etc… Je sais c’est un poncif, mais que voulez-vous ?

Enfin, certains croient, espèrent et attendent un renouveau réformé et placent en tel pasteur, tel théologien (ou théologie), ou tel nouveau président les espoirs d’un changement. Cependant si « renouveau réformé » il devait y avoir, ce en quoi je ne crois personnellement pas, ni n’attends ni n’espère en ce que l’institution n’est pour moi pas centrale, il passera par une émancipation des idées toutes faites et des concepts théologiques. Il ne passera ni par les clercs, ni par les théologiens, ni par une personne providentielle, ni même par l’institution elle-même, mais il s’ancrera et s’incarnera dans la vie de tous les jours de ceux qui se réclament du message de celui qu’on appelle Jésus.