La biodiversité, aussi une question de santé
En toute humilité, je suis de ceux qui se félicitent des positions que, de plus en plus, nos Eglises prennent dans le registre de ce qu’on peut appeler le respect pour et la préservation de la Création (j’ai dit ici le 17 mai dernier le bien que je pense du document hors-série « Dieu, la nature et nous »). Je relève aussi l’attention croissante que rencontre oeco/oeku (animé entre autres par Otto Schäfer dont j’ai vu avec intérêt l’article sur une « théologie des plantes » dans les Nouvelles oeco No 1/2021).
Je termine la lecture d’un ouvrage qui vient de sortir sous la plume de Marie-Monique Robin, journaliste et réalisatrice française, intitulé "La Fabrique des pandémies - Préserver la biodiversité, un impératif pour la santé planétaire" (Ed. La Découverte, 2021). Dans le passé récent, elle s'est fait connaître aussi par des recherches sur les pesticides et à propos de « comment l’agroécologie peut nourrir le monde ». Son nouveau livre ouvre des perspectives majeures en rapport avec la pandémie actuelle et les enjeux environnementaux.
Entre mai et juillet 2020, elle a contacté quelque soixante scientifiques de haut vol, sur tous les continents, afin de préciser ce que les données scientifiques avérées permettent de savoir de l'émergence probable de nouvelles pandémies et du rôle joué par la biodiversité - respectivement sa diminution observée, qu’on peut dire très grave.
Le constat des dérives
Il est passionnant... et inquiétant. Dans le monde entier, de recherches montrent que la disparition des moyens de subsistance traditionnels des communautés, l'agriculture industrielle dévastant les territoires encore vierges, l'urbanisation galopante, sont étroitement liés aux problèmes actuels (et futurs - il y a ici peu de doute). Ces mutations ont accru les contacts et conflits entre humains et beaucoup d'espèces animales sauvages, porteuses de centaines de virus. Selon toute probabilité, covid est le premier de plusieurs (beaucoup ?). Un changement est donc urgent dans les relations que les humains entretiennent avec leur environnement, leur rapport à la faune sauvage ou la manière d'exploiter les forêts et les océans. Robin, avec d’autres : « Si nous ne revoyons pas de toute urgence notre rapport à la nature, nous vivrons dans une ère de confinement chronique. »
Témoignage de Gerardo Suzan, spécialiste d'écologie de la santé à l'Université nationale du Mexique : "J'ai vu comment les grandes entreprises violaient les territoires indigènes au nom d'un "développement" qui n'apportait aucun bénéfice, au contraire : les communautés entraient dans le cercle vicieux de la pauvreté parce que l'environnement dont elles dépendaient pour vivre était détruit.
Un problème, une cause « hénaurme », responsable de ce que les orientations actuelles sont condamnées à faire du mal, est bien connue : « Dans le système économique dominant, les externalités, à savoir les coûts environnementaux et sanitaires des activités industrielles et agricoles, ne sont pas prises en compte » (pour prendre un exemple, le coût de la pollution de l'air, responsable de 9 millions de décès prématurés par année).
Nos croyances qui étaient fausses
« On considérait que la biodiversité était à notre disposition à l'infini. La doxa qui a longtemps prévalu était que la diversité biologique, à l'instar de l'air et de l'eau, était un bien commun illimité qui n'a pas de valeur car tout le monde peut se servir à volonté » ! Inepte.
Le besoin d’une approche holistique - « One Health » et « Planetary Health »
L’auteure fait référence aux travaux de Jakob Zinsstag, professeur à l’Institut tropical et de santé publique de Bâle (et époux d’une pasteure !). Il a développé le concept de « One Health » qui veut considérer ensemble les questions de médecine humaine et vétérinaire - concept à l’évidence essentiel dans la pandémie covid. Plus avant, un programme « Planetary Health », initié par la prestigieuse revue médicale Lancet, veut lui aussi une approche holistique des défis actuels.
Dans ce sens, on notera - problème qui concerne les familles et les pédiatres de chez nous aussi - le chapitre où Robin traite d’un fait de santé reconnu depuis quelques décennies : la partie de l'humanité qui vit dans des environnements très proprets, parfois quasi aseptisés, qui manque de contacts avec la nature, la terre - voire la poussière ou la saleté..., qui n'est pas au contact d'animaux, développe beaucoup plus d'allergies que ceux qui sont exposés précocement à de tels environnements. « Quelle ironie, nous sommes confrontés à deux menaces : une de pandémies de maladies transmissibles dues à des pathogènes émergents et l’autre faite de maladies non-transmissibles liées à la disparition de pathogènes. »
En guise de conclusion
Les données présentées par Marie-Monique Robin sont une mise au point solide sur des réalités biologiques et humaines qui sont à l’origine du phénomène covid. Enseignement majeur : bien loin d’être seulement sympathique pour celles et ceux qui aiment la nature, la biodiversité a été - et devrait rester - un facteur majeur de protection de la santé. Ceci en s'opposant à la poursuite des "homogénéisations" délétères et tous azimuts que vit/subit notre monde.
« Il est temps que les pouvoirs publics comprennent que la santé humaine dépend de celles des écosystèmes et des animaux », dit Robin. Mais on reste songeur en constatant que tant d'élites politiques, économiques, intellectuelles, regardent ailleurs alors que les faits sont là, disponibles pour qui veut bien s'y intéresser.
Pour terminer, cette phrase de Bill Anders, membre de la mission Apollo 8 de 1968: "Nous avons fait tout ce chemin pour explorer la Lune, et la chose la plus importante que nous avons découverte, c'est la Terre."