On ne naît pas blanc, on le devient...

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[pas de légende]

On ne naît pas blanc, on le devient...

Par Jean Martin
8 octobre 2020

Depuis son départ de la RTS, Darius Rochebin fait feu des quatre fers, quatre soirs par semaine à 20h., sur la chaîne LCI. Je ne suis pas un grand fan des têtes qui dépassent, mais j'aime bien Darius. Avec son allure de gendre idéal, c'est un grand professionnel (sans doute a-t-il quelques défauts). En tout cas, il a sur son plateau, sans qu'il doive beaucoup les solliciter semble-t-il, les stars que compte la République, la société civile, les médias...

 

Mardi soir 6 octobre, l'interviewé principal était Lilian Thuram, grand footballeur, enfant de la Guadeloupe venu à Paris à 8 ans, qui s'engage depuis des années pour sensibiliser aux pentes glissantes racistes de nos sociétés et pour éduquer à l'antiracisme, au dialogue, à la compréhension. Bonne discussion.

 

On connait la phrase de Simone de Beauvoir "On ne naît pas femme, on le devient".  Thuram publie ces jours un livre intitulé "La pensée blanche" et, sur le bandeau de couverture, il ose "On ne naît pas blanc, on le devient". Certains diront que le propos n'est pas clair, de beaux esprits s'émouvront en disant qu'il généralise indûment, désagréablement...

 

Thuram a raison. Nous sommes d'une manière ou de l'autre formatés vers un certain racisme (pas forcément éclatant bien sûr... un certain racisme). Tant il est vrai qu'il y a un biais constant en faveur des personnes à peau blanche - et des hommes bien sûr. Personnellement j’ai vécu cette année une prise de conscience tardive, suite aux mouvements d’opinion récents concernant le racisme et les relations entre femmes et hommes. Comme homme et comme médecin.

 

Sur le premier sujet : ma famille et moi avons vécu outremer durant huit ans, sur trois continents, et y avons développé des amitiés durables. De retour, je suis resté très « interculturel » ; ai présidé durant neuf ans la section vaudoise de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme notamment. Ma conviction : « Laissons-nous enrichir par les atouts de la diversité ».

De notre séjour aux Etats-Unis, je garde un bon souvenir de l’intégration des Afro-américains - en milieu universitaire. Mais la force et l’étendue des manifestations qui ont suivi plusieurs homicides, notamment celui de George Floyd à Minneapolis, ainsi que les témoignages multiples de personnes d’ascendance africaine (entre autres), en Suisse et ailleurs, m’ont vivement questionné. Suis-je resté aveugle au cours des décennies, sans saisir ce que ressentent dans leur quotidien nos concitoyens « différents » devant trop d’attitudes: réserve, malaise, évitement, rejet voire gestes et paroles insultantes ? Au travail, à l’école, dans la rue, dans les loisirs ? J’ai cru trop vite que le problème était réglé pour l’essentiel. Le très persistant racisme ordinaire remis en lumière me bouscule. On ne lynche pas ici de jeunes Noirs…  mais que dire de quantité d’attitudes stigmatisantes qui font sentir qu’ils/elles ne sont « pas comme nous », et pas bienvenus ?

Même examen de conscience pour les rapports femme-homme. Je pense avoir été correct, courtois, aidant parfois, avec mes collaboratrices et collègues. Même si je savais, sans attendre les coups de projecteur de metoo, que beaucoup de femmes avaient à souffrir de paroles et gestes à connotation sexuelle (j’ai eu à m’en préoccuper en tant que médecin cantonal). Les dernières Marches des femmes du 14 juin m’ont fait mieux saisir l’acuité et la gravité durables du problème.

Il faut se rendre à l’évidence : ces formes d’« infériorité » - respectivement de « supériorité » - sont systémiques et perdurent. Au bénéfice de l’homme à peau blanche, systématiquement favorisé, indépendamment de toute donnée personnelle ou circonstancielle. Cela reste en 2020 une muette loi d’airain. 

Il y a des améliorations, mais éradiquera-t-on un jour complètement ces inégalités profondément inscrites ? Si la promulgation de lois, chartes et déclarations est indispensable pour poser un cadre ferme, ces textes ne sauraient régler ce qui relève du « fine tuning », de comportements usuels et quotidiens, « non scandaleux », qui gardent une dimension sexiste ou raciste.

L’important est que les enfants à l’école, et la collectivité, soient informés de manière factuelle et équilibrée ; et que soient menés des débats sur les « différences » alléguées entre personnes et groupes : pourquoi les uns continueraient-ils à être jugés « moins égaux que les autres » ? Qu’est-ce qui fait perdurer ce phénomène ? Beau défi pédagogique.