Le monde change… J’y réfléchis au moment de Noël
Professionnellement et personnellement, j’ai vécu récemment un moment qui m’a fait me sentir vieux : je participais à une session du CAS « Santé, médecine et spiritualité » lancé à l’Université de Lausanne. Une autre enseignante m’a (très) vivement étonné en disant combien il était discutable que 80 % des étudiant-e-s en soins infirmiers d’aujourd’hui disent qu’elles/ils le font « pour aider ». D’abord je n’ai pas compris puis j’ai vu : aider ne peut/devrait pas être la motivation principale pour choisir cette profession ! Bien sûr, je me souviens du professeur de chirurgie de mes études, critiquant vertement telle ou telle en disant que la bonne volonté ne remplace pas la compétence ! - d’accord sur le principe, pas sur la forme qu’il lui donnait. Dans les métiers du soin, nous avons évidemment besoin de personnes disposant des connaissances techniques voulues. Mais est-il besoin de répéter qu’il importe pour le moins d’être adéquat au plan de la relation humaine et d’une sensibilité, d’une empathie, à l’endroit des patients.
En toute humilité, il m’est clair que, quand je me suis décidé pour la médecine, je l‘ai fait d’abord pour être utile à mon prochain - et j’ai découvert au cours des études que, en plus, la médecine c’était bien intéressant. Vieille école ? Je faisais il y a peu un courriel à nos enfants (qui ont entre 40 et 50 ans et vivent aux quatre coins) racontant que, dans mon enfance, "isolés" que nous étions - années 1940 et 1950 - dans un hameau vigneron, on était bien, en famille nucléaire et élargie, protestants sérieux et pratiquants. Le monde marchait comme il devait, les règles étaient claires, il y avait des bons et des méchants et on faisait beaucoup d’efforts pour être du côté des bons. J’ai dû à ces convictions pas mal de surprises en découvrant ensuite que tout n'était pas si bien organisé et solide, que pas mal de choses étaient imprécises, y compris quant au bien et au mal - voire inacceptables. Que, pour reprendre la formule d’un de nos maîtres, « jamais et toujours n'existent pas en médecine » - de la même manière, j’ai vu au cours d’une longue carrière que noir et blanc n’existent pas non plus (ou guère) dans la vie réelle, faite de nuances de gris, du presque blanc au presque noir.
Il faut dire que l’engagement désintéressé, dans une profession ou plus largement au plan social, par exemple dans le bénévolat, n'est guère soutenu par le cynisme vantard, sans scrupules et qui tend à contaminer pas mal d’autres, du président américain en fonction, résolu à favoriser le 1% (voire le 0,1% disait-on dans un débat récent sur une chaîne US), les très grands possédants.
L’esprit de Noël (peut-on dire esprit ?) est aujourd’hui surtout transféré aux étals de marchés brillants de mille feux artificiels et des commerces de nourritures et boissons délicates ou de colifichets divers. Ce serait bien aussi (surprise ?) si, au-delà de la fête qui a sa légitimité bien sûr, on trouvait un peu de place pour une convivialité qui fasse mieux communauté (et Eglise), pour notamment diminuer les inégalités sociales qui croissent massivement au proche et au loin, en termes de santé aussi, alors que les puissants privés ou publics regardent ailleurs.
Christian Bobin dans un interview tout récent : « Nous ne sommes pas ici pour triompher. L’existence peut offrir beaucoup mieux (…) En amour, il n’y a plus de compétition, de victoire ou de défaite. » Joyeux Noël.