Comment vivre et mourir dignement
Kathryn Mannix publie un livre remarquable[1]. Médecin spécialiste de soins palliatifs elle a gravi les échelons au sein du National Health Service britannique. « Au cours des 30 ans de ma carrière, il m’est devenu de plus en plus clair que quelqu’un devait dire à la communauté ce qu’est le mourir (dying) normal. »
« La plupart des gens imaginent que mourir est déchirant et manque toujours de dignité. Ce n’est pas ce que nous observons en soins palliatifs (…) La manière de décliner suit en général un profil relativement uni. Vers la fin le niveau d’énergie est au plus bas, signe que le temps qui reste est très court. » C’est le moment de (se) rassembler, de dire des choses importantes non encore dites. La dernière veille auprès d’un mourant est un moment pour rendre compte, pour penser à ce qui nous relie et comment la séparation changera nos vies. « Je suis fascinée par l’énigme de la mort : par le changement indicible de vivant à non-vivant ; par le défi d’être honnête tout en étant empathique ; par les moments de commune humanité. »
La plupart des gens imaginent que mourir est déchirant et manque toujours de dignité. Ce n’est pas ce que nous observons en soins palliatifs.
On relève les récits où le/la patient-e tout comme l’entourage veulent s’épargner mutuellement, se cachant la gravité de la situation alors que tous en fait savent – arriver finalement à en parler est une délivrance (cela vaut aussi pour les enfants). « La conspiration du silence est si commune, et si tragique. Les anciens attendent la mort et beaucoup cherchent à en parler. Mais ils sont l’objet de rebuffades des jeunes qui ne peuvent le supporter. »
« Les personnes qui approchent de la mort déplacent d’elles-mêmes le centre de leur monde vers les autres. Elles mettent l’accent sur le fait d’aimer leurs proches et cette gentillesse rayonne sur ceux qui sont alentour. » Mannix rappelle ce qu’il importe de pouvoir dire/élaborer, de part et d’autre, avant de se séparer : « Je vous aime », « Je regrette », « Merci », « Je vous pardonne », « Adieu/au revoir ».
La réalité n’est ni noire ni blanche mais faite de nuances de gris.
A propos des débats actuels sur la fin de vie. Quand un traitement devient-il une interférence qui ne sert qu’à prolonger la mort ? « Avons-nous le droit de choisir quand mettre un terme à notre vie ? [Dans mon expérience,] il n’y a pas de doute que, des deux côtés, ceux qui font campagne [pour ou contre l’euthanasie ou l’assistance au suicide] sont motivés par des éléments de compassion et principe. Pourtant, la discussion, si souvent polarisée, semble avoir peu de rapport avec ce qui est vécu. Beaucoup d’intervenants en soins palliatifs sont exaspérés par les positions tranchées des militants pour l’une ou l’autre vision, alors que nous savons que la réalité n’est ni noire ni blanche mais faite de nuances de gris. »
[1] With the End in Mind, How to Live and Die Well, London: William Collins, 2018, 359 p.