Et si l’on renonçait au mariage à l’église?

Repenser les célébrations à l'église / Stock
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Repenser les célébrations à l'église
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Et si l’on renonçait au mariage à l’église?

Par Jean-Fr. Ramelet
20 janvier 2022

Le 26 septembre 2021, le peuple suisse acceptait « le mariage pour tous » en votation populaire et en novembre le Conseil Fédéral décidait que le 1er juillet 2022 marquerait l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions du Code civil. À cette date les couples de même sexe pourront se marier civilement ou convertir leur partenariat enregistré.

Pour être prêtes à temps, ce printemps les Églises protestantes de Suisse (qu’en est-il de l’Église catholique ?) se préparent à modifier leurs règlements et leurs liturgies pour se conformer à leur tour à ce nouveau choix de société.

Le mariage est l’aboutissement d’une démarche administrative adossée au code civil et qui est scellée à l’occasion d’une cérémonie dans laquelle deux personnes s’obligent mutuellement devant l’officier d’état civil. Ce jour-là, ils signent – devant témoins - un contrat dont l’application est régie par des articles de lois qui leur confèrent des droits et des devoirs mutuels. Droits et devoirs désormais égaux pour des couples du même sexe.

Seule la cérémonie d’état civil est à même de légitimer socialement le mariage.

Mais alors que fait-on à l’église « devant Dieu et devant les hommes » selon l’expression consacrée ?

Pour la grande majeure partie des (très rares) couples qui choisissent encore de franchir le seuil d’une église, c’est à l’église, que se vivrait selon eux le « véritable mariage ». L’autre, le mariage civil, étant perçu comme une pure formalité. Pour dommageable qu’elle soit, cette dévalorisation de la cérémonie civile a longtemps profité aux Églises qui étaient les seules fournisseuses de sens, de rites et de solennité à donner à cette étape de vie.

Tel n’est plus le cas. Les Églises sont désormais concurrencées par d’autres prestataires (c’est le mot) laïcs, qui, à défaut de réinventer les rituels, les reprennent en les décapant de leur vernis « religieux ». Selon les chiffres donnés en septembre 2019 par le Conseil Synodal, on ne dénombrait – dans le canton de Vaud - en tout et pour tout que 132 mariages célébrés par un.e ministre protestant.e. On ne peut même pas invoquer l’excuse de la « pandémie » pour expliquer pareil effondrement.

Puisque les époux sont déjà mariés lorsqu’ils franchissent le seuil de l’église, continuer à parler de « mariage à l’église » me semble à la fois superfétatoire et ambigu et empêcher également l’Église de valoriser ce qu’elle a de spécifique à apporter à cette étape de vie.

Ce qui se célèbre à l’église est un culte de « bénédiction nuptiale » comme disaient les anciens et non un mariage à proprement parler.

Les deux composantes qui font la spécificité de ce culte, est la proclamation d’une parole qui décentre les époux ainsi que la bénédiction divine invoquée sur chacun d’eux et le couple qu’ils forment désormais, quelle que soit leur préférence affective.

La bénédiction divine vient attester, aux yeux des humains, que l’amour et le projet de vie que partagent deux personnes qui s’aiment, contribue au projet de Dieu pour le monde, en ce qu’elles affirment vouloir cultiver l’hospitalité radicale faite à l’autre.

Actuellement seuls les couples à même de présenter un certificat de mariage ont accès à l’église (toute ressemblance avec une autre réalité est purement fortuite), le « mariage pour tous » ne changera rien à l’affaire.

Cette contrainte pourrait laisser entendre que l’invocation de la bénédiction divine n’est réservée qu’aux seuls couples hétéro ou homosexuels qui ont choisi de se marier civilement.

L’occasion nous est donnée, non pas de renoncer à ce culte, mais de mieux le profiler. J’ai toujours été gêné que nos liturgies parlent d’institution du mariage, sachant que Jésus en la matière n’a rien institué.  Ma même gêne accompagne les promesses, sachant que les époux se sont déjà dit « oui » une première fois et que ce « oui » les oblige.

Il est temps de faire du culte de bénédiction « nuptiale », plus qu’un simple « remake » glamour du mariage civil, mais d’en faire un service qui célèbre l’altérité comme bien suprême et comme trace de transcendance au cœur du monde et de nos relations humaines.

Les réalités qui contribuent à l’altérité de deux personnes sont infinies : leur histoire de vie, leur éducation, leurs valeurs, leur culture, leurs convictions quand ce n’est pas leur religion ou la couleur de leur peau (liste non exhaustive). La sexualité ou le genre ne constituent qu’un facteur d’altérité parmi une multitude d’autres qui font qu’aimer un autre que soi relèvera toujours du défi ultime. C’est l’indéchiffrable énigme de cet amour que l’on célèbre à l’église.

Je considère la nécessaire mise en conformité de nos règlements ecclésiastiques qu’impose « le mariage pour tous » comme une chance à saisir, celle de pouvoir renoncer au si mal nommé « mariage à l’église » pour lui préférer le culte de bénédiction pour tous ; en d’autres termes « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ».

Ce découplage permettra ainsi d’ouvrir ces cultes à tous les couples qui s’aiment et partagent un projet de vie commune, y compris ceux qui, pour des raisons qui leur appartiennent, ont choisi une autre voie que le mariage civil pour cultiver et partager leur amour.