Sola scriptura

Bible de Luther 1559
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Bible de Luther 1559

Sola scriptura

15 juillet 2024

On aime ces temps-ci dénigrer les grands principes des Réformes protestantes exprimés sous forme de sola ou solo : sola scriptura, sola fide, sola gratia, solo Christo. Ces principes seraient le fait d'une radicalisation qui isole dans le christianisme certaines données. Le christianisme serait un phénomène religieux beaucoup plus vaste et complexe. On absolutiserait certains éléments alors qu'ils devraient être corrélés à d'autres, lesquels devraient être jugés tout aussi importants que ceux mis sur un piédestal. Ainsi en va-t-il du principe de l'Ecriture seule qui retiendra notre attention dans ce blog. L'Ecriture devrait être corrélée à la tradition ou aux traditions tout aussi essentielles qu'elle. Le principe deviendrait en quelque sorte « l'Ecriture ET les Traditions ». Mais qu'est-ce qui donc est en jeu ?

En jeu

Pour pouvoir se prononcer sur le pertinence du principe de la sola scriptura ou sur celle du principe de l'Ecriture + la Tradition, il convient d'abord de clarifier ce qui est problématique avec ces deux principes. Quand on dit sola scriptura on utilise un ablatif latin qui implique que quelque chose a lieu par ou grâce à l'Ecriture seule. Le « quelque chose » qui ici est en jeu, c'est notre accès à la Parole de Dieu faite homme en Jésus-Christ (solo Christo : https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2024/07/solo-christo ). Nous n'avons accès à cette parole de Dieu que par les Ecritures. Si l'on préfère, la question existentielle en jeu est à nouveau celle de la vérité de notre vie. Qu'est-ce qui donnera un authentique éclairage à notre vie de sorte qu'elle puisse se comprendre elle-même de manière cohérente devant le dieu de Jésus-Christ ? Est-ce l'Ecriture et elle seule ou les traditions bibliques doivent-elles être accompagnées d'autres traditions ?

Les raisons d'abandonner la sola scriptura ?

Pour contester ce principe de la sola scriptura, on fait effectivement d'abord remarquer que la Bible est elle-même le résultat de nombreuses traditions. C'est incontestable. Pourquoi alors limiter notre accès à la parole de Dieu en mettant en avant certaines traditions et pas d'autres ? Il se trouve, en effet, qu'au IVe siècle de notre ère, il a fallu clore ce que l'on appelle le canon des Ecritures afin de préserver une certaine unité de l'Eglise. La fermeture du canon visait à éliminer un certain nombre d'hérésies tout en maintenant une certaine diversité d'approches de la vie vraie à la lumière de la parole de Dieu. Ce faisant on laissait de côté certaines traditions qui s'affirmaient elles aussi chrétiennes.

En deuxième lieu, on fait remarquer que ceux qui ont choisi les livres qui figureraient dans le Nouveau Testament appartenaient à des traditions qui ont triomphé d'autres traditions. Le choix des livres de nos Bibles est ainsi le résultat de traditions particulières. Il en va de même, même si c'est un peu différent, à propos de l'Ancien Testament.

Enfin tout lecteur de la Bible l'interprète en fonction d'une tradition qui l'a marqué. On ne lit pas de la même manière la Bible si on est né dans l'orthodoxie russe ou si l'on est marqué par la catholicisme romain ou par le fondamentalisme protestant... Même si on critique la tradition interprétative dans laquelle on a baigné un certain temps, c'est en général pour adhérer à une autre tradition. Cela justifie-t-il pour autant l'abandon du principe de l'accès à la vérité par l'Ecriture seule ? Pour en décider, il nous faut d'abord cerner ce qu'il faut entendre par cette parole de Dieu à laquelle les Ecritures et peut-être aussi d'autres traditions donnent accès.

La parole de Dieu

Comme affirmé dans mon précédent blog, pour un chrétien, la parole de Dieu s'est fondamentalement faite homme en Jésus de Nazareth. Il a incarné et proclamé cette parole ; il est même mort à cause de cette incarnation et proclamation. Cela signifie pour le moins deux choses en ce qui concerne notre propos. La première, c'est que les traditions bibliques comme toutes les autres traditions ne seront jamais identifiables à la parole de Dieu. Elles sont simplement susceptibles d'y donner accès. Seul le Christ est parole de Dieu. La seconde, c'est que les traditions qui y donnent accès ne peuvent pas se contredire les unes les autres. Dans la parole de Dieu, il en va, en effet, de l'accès à la vérité à propos de Dieu et de notre vie. Et qui prétend rendre compte d'une vérité accepte les deux principes logiques d'identité et de non-contradiction,. Si tel n'est pas le cas, il ne reste plus qu'à se taire. Il est donc légitime de ne pas accepter toutes les traditions et d'établir un canon, à savoir une règle fixant quelles sont les traditions dont on estime qu'elles donnent accès à la vérité.

Quels critères pour être tradition de référence ?

Un minimum de cohérence entre les textes de référence pour la foi chrétienne est donc le premier critère auquel doivent répondre les textes qui permettent de connaître la parole de Dieu incarnée. Il ne serait, par exemple, pas possible d'avoir dans nos textes de référence des textes chrétiens et d'autres gnostiques.. En deuxième lieu, ces textes ne doivent pas émaner d'une seule tradition. Si c'était le cas, il y aurait de fortes chances pour que seuls certains aspects de la vie devant Dieu soient abordés. Si l'on n'avait que les épîtres de Paul, notre réflexion à propos de la foi chrétienne serait nettement moins riche qu'avec le canon actuel du Nouveau Testament. Si des quatre évangiles on ne conservait que celui de Marc, manquerait le sermon sur la montagne et de nombreuses paraboles, etc...Au critère de cohérence entre les écrits retenus s'ajoute ainsi celui de diversité de ces écrits. Il est un troisième critère qui avait été retenu très tôt dans le christianisme : celui de la relative proximité des textes avec l'événement Jésus-Christ. L'événement dans lequel la parole de Dieu fait irruption dans notre monde étant un événement historique, on est en droit de dire que les témoins plus proches de la source risquent d'être plus fidèle que des témoins éloignés. On parlera ici de critère d'ancienneté. Un quatrième critère réside en ce que les textes retenus l'aient été par de nombreux croyants. On parle d'influences sur la vie des Eglises. Si un texte a été le texte favori et même essentiel pour une petite secte marginale, même s'il est cohérent avec les autres textes retenus, même s'il ajoute à la diversité de ces textes, même s'il est très ancien, il n'a pas fait vraiment ses preuves durablement dans de nombreux contextes différents et ne devrait donc pas être retenu. Ainsi, par exemple, l'évangile de Jean a mis très longtemps à faire partie du canon. Il est, à mes yeux, un cinquième et dernier critère : un texte doit être réellement en prise sur les questions qui se posent de manière générale à nos vies. Si on voulait faire entrer dans le canon des Ecritures un texte – et il en existe – qui révèle des choses sur ce qui permet à l'âme de passer du troisième au septième ciel, il n'y aurait pas lieu de l'y faire entrer !

Le cas du Nouveau Testament

Aucun de ces cinq critères n'est en lui-même suffisant. Tous doivent être pris en compte pour former le canon des traditions permettant d'avoir accès à la parole de Dieu. Mais, pris tous ensemble, ils exigent aussi que l'on retiennent au sein du Nouveau Testament certains textes seulement et en considère d'autres comme moins essentiels (que l'on établisse un canon dans le canon). Si l'on découvrait un nouvel évangile ou une nouvelle lettre attribuée à Paul, il conviendrait également de mettre en œuvre ces cinq critères. Tout bien considéré, le choix fait tant par les Eglises d'Orient que d'Occident aux alentours de l'an 400 n'était pas si mauvais que cela. En conclusion, si l'on désire encore accéder à la vérité de vie que Dieu nous a révélée en Jésus-Christ, il est essentiel de conserver le critère de la connaissance de cette vérité sola scriptura, étant entendu par là que les traditions qui filtrent notre lecture des Ecritures doivent elles-mêmes être soumises à la critique de ces Ecritures canoniques.

A ne pas vouloir appliquer ces critères et donc le principe de la sola scriptura, on sombre dans le relativisme. Or comme chacun sait le relativisme mène non à la quête de la vérité, mais à la domination du plus fort ou du plus rusé.

À suivre...

Je suis conscient que ce blog soulève bien d'autres questions. En effet, j'ai essentiellement parlé du Nouveau Testament et de son canon. Dès lors un blog consacré aux relations Ancien-Nouveau Testaments serait le bienvenu. Quant à la question de l'inspiration des auteurs bibliques (et des lecteurs de la Bible), elle vaudrait aussi la peine d'être abordée...

 

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