A propos des services funèbres
En participant à un certain nombre de services funèbres, je me suis demandé pourquoi les Eglises devaient encore offrir ce genre de service. L'essentiel de ces cérémonies consistait, en effet, à rendre hommage à la personne défunte. Pour cela il n'y a pas besoin d'organiser le service funèbre dans une église et de mobiliser du personnel ecclésiastique. Au XIXe siècle c'était à la portée du premier instituteur venu ; cela faisait même partie de son cahier des charges. En plus de l'éloge funèbre, il y a en général quelques lectures, parfois bibliques, mais pas nécessairement. On y entend aussi des prières, expression le plus souvent d'un bon sentiment à l'égard de ceux qui passent par des deuils parfois plus dramatiques que celui enduré par les personnes présentes. On y écoute de la musique : souvent celle que la personne défunte aimait beaucoup, mais qui n'est malheureusement plus là pour l'apprécier. Quant à l'assistance, il lui faut subir cette musique, car ce n'est pas nécessairement sa tasse de thé. Et on ne chante plus, même pas le sempiternel « A toi la gloire », car « plus personne ne sait chanter ». Parfois il y a une prédication. Quand c'est le cas, elle s'étend sur la personnalité du ou de la défunt-e, contient quelques mots d'espérance, mais n'interprète que rarement l'un des textes lus précédemment, comme si l'on savait que ce rôle central du sermon ne trouverait presque certainement pas un bon accueil dans l'auditoire. En général je n'en ai donc pas pour mon argent (car le service contient aussi l'annonce d'une collecte « dans les troncs à la sortie »).
A célébrer des services aussi peu typés chrétiennement, on comprend que de plus en plus de familles ne demandent plus les bons offices d'une officine ecclésiastique pour prendre congé de leur défunt-e. Quelle est donc pour moi la raison d'être ainsi que les éléments essentiels d'un service funèbre célébré dans un lieu de culte ou ailleurs par un représentant de l'Eglise ?
Dis en une phrase : il s'agit d'écouter ce que l'évangile a à nous dire à l'occasion de la remise à Dieu d'une personne qui nous a quittés. Deux éléments essentiels donc : la remise à Dieu et l'écoute de l'évangile.
Remettre à Dieu
Dans la remise à Dieu, je distinguerai deux éléments. L'un insiste sur la reconnaissance, l'autre sur l'acceptation que la personne défunte ne nous ait été que prêtée pour un temps.
Reconnaissance à Dieu
Un service funèbre chrétien doit, à mes yeux, contenir spécifiquement un temps de reconnaissance à Dieu pour tout ce qu'il a pu réaliser pour les personnes présentes et peut-être plus largement pour l'humanité au travers de la personne défunte. Il ne s'agit pas de remercier et donc de glorifier le défunt, mais Dieu, car tout est par lui et doit donc être pour lui. Ce temps de reconnaissance peut bien entendu être l'occasion d'évoquer quelques aspects de la vie de la personne décédée. Mais il s'agit, en régime chrétien, de se souvenir que tous les hauts faits de cette personne n'ont été, en définitive, possibles que « grâce à Dieu ». On ne va donc pas simplement les rappeler. On en remerciera explicitement Dieu.
Non-appartenance
L'autre élément de la « remise à Dieu » consiste précisément à remettre X ou Y, en un acte solennel, entre les mains de Dieu. Cette personne nous avait été prêtée pour un temps. Prêtée, elle ne nous appartenait pas. Et comme nous confessons qu'elle nous avait été prêtée par Dieu, c'est à lui qu'il s'agit de la rendre. Cette remise à Dieu possède toutefois encore un autre sens. Cette personne sur laquelle nous n'avons plus d'influence et qui n'a plus d'influence sur nous n'est pas à l'abandon. Elle subsiste dans la mémoire de Dieu en vue de résurrection (cf. https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2024/04/propos-de-notre-resurrection). En la remettant à Dieu on dit donc la certitude qui est la nôtre que cette personne est en de bonnes mains en vue de cette résurrection que nous ne pouvons imaginer, mais dont nous pouvons être certains de la réalité.
Ecouter la Parole de Dieu
L'autre élément essentiel d'un service funèbre réside dans l'écoute de ce que l'évangile peut nous dire à l'occasion du décès d'un être cher, apprécié ou simplement connu, voire – pourquoi pas ? – inconnu. La seule raison d'être de l'Eglise n'est-elle pas de transmettre la parole de Dieu, de l'interpréter pour nous aujourd'hui et d'interpréter une situation particulière à sa lumière ? Dès lors, lorsque la famille fait encore figurer un verset biblique sur le faire-part de décès, il est bon de s'y référer dans la prédication. Mais comme les mêmes versets reviennent régulièrement, il n'est pas interdit de choisir un autre texte de départ. Et comme très souvent il n'y a pas de texte biblique suggéré, le choix des thématiques dépendra de la situation particulière de l'auditoire. Ainsi, lors de la préparation d'un service funèbre, la fille du défunt âgée d'une dizaine d'années m'avait posé trois questions précises à propos de la mort et de la résurrection. Devant un auditoire particulièrement huppé, je me suis adressé à cette fillette et ai répondu à ses trois questions en essayant de me mettre à son niveau tout en restant fidèle à la parole de Dieu. D'après les échos reçus, cela avait visiblement fait mouche dans l'auditoire. Mais on peut aussi choisir, comme l'a fait toute sa carrière un collègue maintenant retraité, le texte du jour (parfois de la veille ou du jour suivant) dans le guide de lectures quotidiennes Pain de ce Jour. Il m'a avoué ne jamais avoir eu de difficultés à relier le texte du jour à la situation de la famille. Mais quelles sont les thématiques appropriées aux circonstances particulières d'un service funèbre ? Rien n'est à exclure, mais il est des thèmes qui reviendront plus facilement.
Quels thèmes ?
Il va de soi qu'une réflexion sur la mort et la résurrection sera bienvenue, mais ce n'est de loin pas la seule thématique à aborder surtout si le ministre de l'évangile retrouve régulièrement le même auditoire. Face à la mort il y a aussi le thème de l'angoisse à laquelle répond la foi-confiance (texte exemplaire : la tempête apaisée, Marc 4.35ss et //). Comme déjà évoqué la reconnaissance ne déparera jamais dans le paysage (toujours à titre d'exemple : le Psaume 103). Dans certaines circonstances il sera bon d'aborder les thèmes du jugement et du pardon (Romains 8.31ss.). Dans d'autres on pourra affronter une révolte, un sentiment de total abandon... (certains Psaumes, Job). Plusieurs textes de l'Ecclésiaste posant très concrètement la question du sens de la vie en dépit de la vanité, de son non-sens sont aussi parfaitement adaptés. Dans une période où les services funèbres pleuvaient avec une régularité telle que j'avais l'impression de ne pas pouvoir choisir et travailler de nouveaux textes, je m'étais mis à me laisser porter par chaque demande du Notre Père, l'une après l'autre, et fus surpris qu'à partir de chacune on pouvait dire de nombreuses choses en ces circonstances bien particulières... Tout cela pour simplement dire que les possibilités, si elles ne sont pas infinies, sont fort nombreuses. L'essentiel reste qu'à partir de ces textes bibliques, on laisse éclater la parole de Dieu, l'évangile, le kérygme dans l'existence meurtrie ou simplement questionnée de l'auditoire. Alors l'Eglise aura fait son travail et gardera une raison d'être.