La seconde venue du Christ

la seconde venue du Christ
i
la seconde venue du Christ

La seconde venue du Christ

Par Jean-Denis Kraege
25 décembre 2023

On ne parle pour ainsi dire jamais du retour du Christ dans la prédication des «grandes» Eglises. La célébration de sa première venue est une occasion d'y revenir ! Même si on ne s'y étend guère, ce retour est assez souvent présent au détour d'un texte biblique lu pour une autre raison. A chaque fois que la Sainte Cène est célébrée ou presque, on répète, entre autres choses, que Jésus a affirmé qu'il ne boirait plus du produit de la vigne jusqu'au jour où il le boirait, nouveau, dans le royaume de Dieu (Marc 14.25). Déjà, dans les christianismes primitifs, le non-retour du Christ dans les générations qui suivirent sa mort et sa résurrection avait fait question. Des auteurs comme Luc et Jean en particulier y apportèrent chacun sa solution. Depuis vingt siècles certains se sont habitués à ne plus attendre ce retour que dans un lointain avenir. D'autres se sont accoutumés à ne plus y penser ou à éviter le sujet dès qu'il ressurgit. D'autres encore ont fait de l'attente de ce retour leur fond de commerce... Alors que nous fêtons la venue du Christ, que faire de l'idée de son retour ?

Historiquement on est face à au moins deux possibilités à propos de cette idée de retour ou de seconde venue du Christ. Soit c'est Jésus lui-même qui a annoncé qu'il reviendrait1, soit ce sont les premières communautés chrétiennes qui ont inventé qu'il reviendrait. Toutefois, dans un cas comme dans l'autre, la question intéressante consiste à se demander pourquoi Jésus et/ou les premiers chrétiens ont attaché tant d'importance à ce retour. Dans un cas comme dans l'autre, la croix prévue par Jésus ou douloureusement vécue par ses disciples laissait un goût d'inachevé et même d'inacceptable.

On aurait ou avait beau être convaincu que Jésus était ressuscité, l'absence du maître serait ou était désespérante. Après Vendredi-Saint les disciples seraient (ou étaient) laissés à eux-mêmes. Ils n'auraient-n'avaient plus de réponses directes à leurs questions. Les traditions à propos du maître seraient-étaient manifestement insuffisantes. On voit très bien cela dans l'évangile de Jean où Jésus promet la venue d'un « autre paraclet » (avocat, défenseur) pour le remplacer (Jn 14.16).

Une autre manière de comprendre la nécessité de l'annonce de cette seconde venue consiste à penser que les disciples, sans leur maître et modèle, seraient (ou avaient été) replongés dans un monde atroce dont la croix était le symbole. Toute l'espérance que les disciples avaient pu mettre en Jésus (que le règne de Dieu arriverait bientôt, etc.) s'est écroulée au Golgotha (Lc 24.19ss.). Il faudra que, dans un temps assez bref ( I Thessalonicien 4.16-18), le Christ revienne pour instaurer ce royaume ou ce règne de Dieu en plénitude qui n'était pas non plus advenu avec la résurrection du maître. Le règne de Dieu maintenant caché sous son contraire devra advenir au grand jour. Or seul le Christ peut réaliser cette venue du règne en plénitude. Il lui faudra donc revenir.

Cette annonce par Jésus ou/et par les premières Eglises du retour du Christ présente au moins deux inconvénients. Le premier, c'est que depuis maintenant 2000 ans, il n'est effectivement pas revenu. Il n'est en tout cas pas revenu au sens où on se l'imagine habituellement revenir. Or si, pendant une si longue période de temps, la promesse de la seconde venue ne s'est pas réalisée, il y a de quoi remettre en question cette promesse. Il est assez normal qu'on l'oublie assez majoritairement aujourd'hui, qu'on n'en fasse plus guère cas. Il y a pourtant quelques inconvénients à passer cette promesse sous la jambe. A chaque fois que j'entends cette promesse répétée d'une manière ou d'une autre dans un texte biblique, j'ai de la peine à ne pas me dire qu'il y a là quelque chose que je ne comprends pas, que ce que j'imagine comme étant le retour du Christ n'est peut-être pas ce que Jésus et/ou les christianismes primitifs entendaient par là...

Avant de tenter de trouver une solution à ce problème, examinons le second « inconvénient » lié à cette annonce du retour du Christ. Cette promesse fait non seulement de la croix, mais de tout « le temps de l'Eglise » et de nos vies jusqu'à notre mort un mauvais moment à passer avant qu'advienne la plénière réalisation des promesses faites par Jésus. Nous ne pouvons espérer pour notre présent aucune plénitude de vie. Peut-être certains peuvent-ils vivre des instants sporadiques de plénitude. Mais le christianisme est-il crédible si tous ne peuvent pas vivre une vie plénière dans une certaine durée au moins ?

Pourtant, ne serait-ce pas notre compréhension de la croix et de la vie à son ombre qui est erronée ? Pour le montrer, je vous propose de faire le détour de l'apôtre Paul lui qui, comme on le sait, a mis la croix au cœur de sa pensée et de sa vie. Dans la première de ses lettres qui nous soit restée, celle aux Thessaloniciens, Paul attend avec celles et ceux à qui il écrit que Jésus descende du ciel avec un cri de commandement, avec la voix d'un archange et avec le son de la trompette (I Thessaloniciens 4.16). Plus il avance dans sa réflexion, ce que reflètent ses lettres subséquentes, moins ce retour du Christ prend d'importance jusqu'à ne plus être, dans son testament qu'est l'épître aux Romains, qu'une incitation à être prêt pour l'advenue du salut (14.11-14). C'est que la croix, comme notre séjour terrestre, ne sont pas un mauvais moment à passer, dépassés par la résurrection (celle du Christ comme la nôtre) et surtout par le retour du Christ. La croix, relue à la lumière de ce qui s'est passé à Pâques, est devenue pour Paul le lieu de la victoire de Dieu sur toutes les puissances mortifères. A nous d'en tirer les conclusions et de relire notre vie comme le lieu où Dieu peut, par exemple, manifester sa force dans notre faiblesse (II Corinthiens 12.9 et plus largement 11.16 à 12.10).

L'évangile de Jean va toutefois plus loin encore que Paul. Celui-ci maintenait une tension entre notre mort avec le Christ et notre résurrection à venir quand bien même il parlait de moins en moins du retour du Christ pour qualifier le temps de cette résurrection. Jean, dans les discours d'adieu que Jésus adresse à ses disciples (chapitres 14 à 17), identifie la mort de Jésus et son élévation auprès de Dieu comme il identifie le retour du Christ et sa résurrection. En découle que qui entend la parole du Christ et qui croit celui qui l'a envoyé a la vie éternelle. Il ne vient pas en jugement. Il est (déjà) passé de la mort à la vie (Jean 5.24). Le retour du Christ a tout bonnement lieu dans la vie actuelle des croyants.

Je crois que nous avons ici une réponse aux problèmes soulevés plus haut à propos d'un retour toujours retardé du Christ glorieux. Plutôt qu'une attente sempiternelle et donc désespérante de ce retour, reconnaissons que le Christ revient quand nous le laissons habiter notre vie, lorsque, comme le dit l'apôtre Paul aux Galates, je suis crucifié avec le Christ et que ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi (Gal 2.19-20). Ce retour n'est pas glorieux au sens où nous l'imaginons tout humainement. Il a lieu quand je laisse humblement ma vie conduite par le crucifié-ressuscité, le crucifié reconnu comme toujours parlant, agissant en tant que crucifié. Le fondement de mon espérance, de l'ouverture de mon avenir ne se situe plus alors dans un royaume-règne à venir, mais dans le règne déjà actuel de Dieu, dans le règne déjà expérimenté et qui me fait participer à la lutte de Dieu contre ce qui s'oppose à lui et qui ne peut être qu'une lutte gagnante au plan historico-mondial comme elle est déjà gagnante dans ma vie.

 

1A moins encore, ce qui revient au même, que Jésus ait annoncé la venue du Fils de l'Homme et que les disciples aient rapidement identifié ce Fils de l'homme à Jésus mort et ressuscité