Pas meilleur que les autres ?

Pas meilleur que les autres / simul justus et peccator
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Pas meilleur que les autres
simul justus et peccator

Pas meilleur que les autres ?

Par Jean-Denis Kraege
5 septembre 2023

«Les chrétiens ne sont pas meilleurs que les autres humains». J'ai terminé mon dernier blog sur cette objection. On la fait régulièrement aux chrétiens dont leur relation à Dieu devrait les empêcher de mal faire. Or les chrétiens commettent aussi toutes sortes de vilénies. Ils veulent peut-être bien faire, mais font mal. L'histoire des christianismes le montre abondamment. N'y a-t-il donc aucune utilité à mettre sa confiance dans les promesses que Dieu nous a faites en Jésus de Nazareth ?

Je répondrai d'abord à cette objection par une boutade. « Les chrétiens ne sont pas meilleurs que les autres, mais ils le savent ! » Toute la différence est dans ce savoir de leur incapacité à bien faire. Dès lors qu'ils en sont conscients, ils ne peuvent se satisfaire de ce qu'ils font, ne peuvent se résigner à ne jamais pouvoir faire mieux ou encore ne peuvent désespérer de leur état et s'en divertir.

Certain de ceux qui ont renoncé à se « savoir » incapables de bien faire ont, en effet, tendance à être finalement assez contents de ce qu'ils réalisent. Certes il y a des bavures, mais pour l'essentiel, quand on compte sur ses capacités, on réalise en moyenne des choses pas si mauvaises que ça... Mais d'où viennent alors l'holocauste, le goulag, les génocides, la destruction de notre planète que l'on n'arrive pas à enrayer ? Au moins les chrétiens ne tombent-ils pas dans ce travers de la bonne conscience !

D'autres qui ont décidé une fois pour toutes qu'il ne servait à rien de pleurnicher sur nos incapacités à réaliser le paradis sur terre se sont résignés à faire ce qu'ils pouvaient. On sait bien qu'on est en train de détruire la planète ainsi que nos capacités d'y vivre agréablement ou même d'y vivre tout court, mais que voulez-vous ? on ne peut quand même pas renoncer au confort de la voiture, de nos habits produits peu chers à l'autre bout du monde, des roses que l'on aime offrir tout au long de l'année, de ne pas avoir besoin de s’emmitoufler dans un chandail pour supporter les 19oC de son logement... On est incapable de faire mieux, alors résignons-nous ! Au moins les chrétiens ne tombent-ils pas dans ce travers de la résignation !

Pourquoi le chrétiens qui savent qu'ils ne sont pas meilleurs que les autres ne désespèrent-ils pas alors de leur agir insatisfaisant ? Car il y a là une troisième catégorie d'humains : ceux qui ne se résignent ni ne sont fiers, mais qui désespèrent d'eux-mêmes et de l'espèce humaine. Ils ont décidé qu'il n'y avait aucun espoir. La situation est telle qu'il ne leur reste qu'à pleurer sur le sort de l'humanité ou mieux à se divertir de toutes ces idées macabres et à jouir au maximum de la vie. Les chrétiens qui se savent incapables comme tous les humains de bien faire ne désespèrent pas parce qu'ils ne savent pas seulement des pécheurs ce qui le rend incapables de bien faire, mais des pécheurs justifiés.

Cela signifie qu'en dépit de leur manque ou de leur absence de foi et du mal qu'ils produisent en conséquence, ils sont déclarés justes par Dieu. En d'autres termes, Dieu leur a déclaré en Jésus de Nazareth qu'il est toujours prêt à recommencer avec eux malgré leur passé souvent si peu glorieux. Il les libère de leur erreurs pour qu'ils aient le courage de toujours recommencer et de ne jamais se contenter du statu quo ante. Parce que Dieu leur dit que leur avenir est toujours ouvert, ils ne sont jamais satisfaits, ne se résignent ni ne désespèrent.

Mais pourquoi faut-il dire que les croyants sont des pécheurs justifiés ? Ne serait-il pas plus simple de dire qu'ils sont des justes ? Pécheurs justifiés ou justes ne revient, malgré les apparence, pas du tout au même. Si je me dis juste pur jus, je me considère comme étant dans un état nouveau dans lequel je suis capable de faire le bien. Puisque je suis juste aux yeux de Dieu, ce que je fais sera automatiquement juste. D'une part cela ne correspond pas à la réalité. Justifié, je sais d'expérience que cela ne m'empêche pas de mal faire. D'autre part, si je me pense définitivement juste, j'ai toutes les chances d'estimer que je puis me passer de la dépendance de Dieu. Or se croire orgueilleusement indépendant de Dieu est la définition-même du péché. Un chrétien doit toujours se considérer comme simultanément justifié et pécheur (simul justus et peccator), sans quoi il n'est que pécheur.

On ajoute parfois à la formule simul justus, simul peccator un semper repentens (toujours repentant). Or c'est là le sens dans les liturgies traditionnelles de la confession du péché et des paroles de grâce qu'on laisse trop souvent tomber. Peu importe que l'on entende d'abord l'affirmation de la justification gratuite et que l'on se repente ensuite de si mal en vivre ou que l'on demande pardon pour ensuite s'entendre dire qu'on est pardonné. L'essentiel est qu'on se reconnaisse pécheur et, en conséquence, incapables de bien faire et que l'on s'entende régulièrement répéter que Dieu est toujours prêt à recommencer avec nous, à réouvrir notre avenir. La prière de demande de pardon ne doit toutefois pas seulement se limiter à demander le pardon de Dieu. Elle devrait aussi demander à Dieu de nous aider à toujours recommencer, à ne jamais désespérer, à ne jamais nous résigner ou nous contenter du médiocre. Elle devrait lui demander de nous libérer à nouveau de nous-même pour que nous puissions nous ouvrir à ce qu'il s'impose de faire dans la situation présente. Elle devrait demander à Dieu de nous permettre d'agir de manière désintéressée, gracieuse, libre, comme lui agit toujours de manière désintéressée, gratuite et libre... Ce sera alors reconnaître que sans son aide subreptice, nous serons à jamais incapables de bien faire.