Des Eglises démissionaires?

Van Gogh / semeur
i
Van Gogh
semeur

Des Eglises démissionaires?

Par Jean-Denis Kraege
14 août 2023

Deux dimanches de suite, dans des lieux et des milieux différents, j'ai entendu une prédication sur la parabole dite du semeur dans sa version matthéenne (Matthieu 13,1-9). A chaque fois, l'interprétation donnée cataloguait les divers sols dans lesquels la semence – la parole de Dieu – tombait et les effets que cela avait. Je sais que c'est là l'interprétation que donne de la parabole une tradition de l'Eglise primitive (cf. déjà Marc 4,13-20). Cette manière de comprendre cette parabole en est devenue l'interprétation canonique.

Lorsque Jésus l'a racontée, on ose cependant supposer qu'il l'a fait dans une autre intention. En effet, une parabole est une histoire qui possède ce que les spécialistes appellent une « pointe » : une vérité vers laquelle elle tend et à partir de laquelle on peut la comprendre. Cette pointe est de manière générale un élément particulièrement surprenant du récit. Par exemple, il n'est pas normal qu'un père accueille à bras ouverts et fasse une immense fête pour un fils qui l'a quitté et a dilapidé toute la part d'héritage qui lui revenait. Il n'est pas normal qu'un ouvrier qui a travaillé une heure reçoive le même salaire qu'un ouvrier qui a travaillé douze heures, etc. Quelle est donc la pointe de la parabole du semeur ? Nous autres gens des villes ne nous en rendons plus compte. Ce n'est pas le fait que le semeur sème sur tous ces terrains dont il savait par avance qu'ils ne produiraient guère ou pas de fruit. C'était là une manière habituelle de faire. L'incompréhensible, c'est que, quand le grain tombé dans la bonne terre porte du fruit, il porte cent grains ou soixante ou trente. Surtout à une époque où on n'avait pas encore sélectionné des espèces de céréales particulièrement fructifère, c'était impossible. Du reste quelle tige pourrait-elle supporter cent grains ? Aujourd'hui les meilleures espèces portent de 35 à 55 grains par épis.

Que nous dit cette « pointe » sur le sens de la parabole et sur le règne de Dieu ? Le semeur sème sans se préoccuper du terrain parce qu'il sait que, lorsque le grain tombe dans la bonne terre, il produit énormément. Il ne doit donc pas se décourager s'il le voit mangé par les oiseaux, desséché par le soleil ou étouffé par les épines. Ce seraient là autant d'occasions de baisser les bras, de renoncer à son métier. Le semeur sait que, quand le grain produit, il produit énormément. Il sait que cela compense toutes les pertes de grains tombés aux mauvais endroits. Semblablement la parole de Dieu que les disciples sont appelés à semer va tomber dans des oreilles fort peu prêtes à l'écouter. Les disciples pourraient se décourager. Ce ne doit pas être le cas dans la mesure où, quand la parole est entendue, elle produit une énorme quantité de fruits, elle a des effets considérables.

On peut tirer au moins trois enseignements de cette parabole ainsi comprise pour l'Eglise actuelle.

Le premier : la tâche essentielle de l'Eglise est simple : elle doit semer. Cela semble évident. Ce ne l'est dans les fait absolument pas. Qui est encore au clair dans les Eglises à propos de la parole de Dieu ? Quels moyens s'y donne-t-on pour ne pas s'y divertir à toutes sortes d'autres tâches et pour vraiment annoncer cette parole ? Mais, entendons-nous bien, les Eglises, ce ne sont pas seulement les institutions et leur personnel. Les Eglises, ce sont tous les croyants, qu'ils soient ou non rattachés à une institution. Ont-ils vraiment conscience de la responsabilité primordiale qui est la leur de semer la parole qui a créé en eux la foi ? Trop souvent, lorsqu'on est croyant, on se contente de cultiver sa réflexion spirituelle. C'est bien, mais insuffisant. Ce que l'on a reçu, il s'agit de le partager. La première manifestation de l'amour de son prochain devrait être pour un chrétien de partager le plus essentiel qui le fait vivre.

Le deuxième enseignement : semer partout Au nom de la tolérance à l'égard des autres religions et du respect à l'endroit de tous ceux qui n'adhèrent plus à aucune foi religieuse, les institutions ecclésiastiques ronronnent à l'interne. Elles appellent leurs adhérents à ne pas se laisser détourner de l'écoute de la parole, à rester une bonne terre pour recevoir la semence. C'est bien, mais insuffisant. Même si on sait que l'on ne risque guère d'avoir du succès, il s'agit de semer. On est trop attaché au succès de son entreprise. Comme le disait l'apôtre Paul, certains plantent, d'autres arrosent, mais en tous les cas, c'est Dieu qui fait croître. Il ne nous appartient pas de faire croître. Il arrive souvent qu'une parole ait de l'effet alors que nous n'en escomptions aucun.

La troisième leçon de cette parabole : ne pas se décourager. Si on renonce à semer en-dehors du cocon ecclésial, c'est qu'on a peur d'être découragé. La parabole nous incite à ne pas nous préoccuper de tout ce que, en Eglise, nous pouvons faire sans succès. La seule chose essentielle est de savoir que lorsque ce que nous avons semé porte du fruit, cela a des effets prodigieux. Là encore, ce n'est pas que nous ayons su faire fructifier la semence magnifiquement. C'est Dieu qui nous promet que les effets de ce que nous aurons semé seront prodigieux, même si ce n'est de loin pas dans tous les cas.

S'il fallait d'un slogan résumer le triple enseignement de cette parabole, ce serait de dire qu'une Eglise qui n'est pas missionnaire est démissionnaire.