Crises de confiance
La confiance est partout et pourtant on se rit des chrétiens qui fondent tout sur la confiance faite sans aucune preuve à une parole qu'ils prétendent venir rien moins que de Dieu !
L'actualité récente est là pour me conforter dans cette idée que la confiance est partout. L'effondrement du Crédit Suisse, nous a-t-on expliqué, était dû au manque de confiance de ses clients et des investisseurs suite à des erreurs patentes de gestion. Mais il y a plus que cela : la rumeur prévaut qu'à l'automne 2022, celui qui était alors le conseiller fédéral en charge du ministère des finances, Ueli Maurer, après des contacts avec la FINMA et la Banque Nationale à propos de Crédit Suisse, n'en a pas informé les autres membres du Conseil Fédéral. Il ne leur aurait pas fait confiance qu'ils n'ébruiteraient pas la situation déjà catastrophique de la banque, ce qui aurait eu des conséquences délétères non seulement pour cette banque mais aussi, dit-on, pour l'économie mondiale... On ne se fait pas confiance au sein du gouvernement fédéral. Peut-être que si le ministre des finances avait fait confiance à ses pairs, on n'en serait pas où on en est arrivé. Et maintenant on nous demande de faire confiance à UBS que cette banque est capable mieux qu'en 2008 de résister aux chocs du marché. On nous demande de faire confiance aux Chambres fédérales qu'elles vont prendre les mesures idoines pour que ce qui a eu lieu les 18-19 mars ne se reproduise pas. Et on ne cesse de nous expliquer qu'il n'y a pas d'autre moyens en matière de finances que de faire confiance... Du reste la monnaie est fondamentalement une affaire de confiance. Elle ne vaut que par la confiance diffuse qu'on lui fait.
Dans un autre registre : l'intelligence artificielle, on nous fait aussi penser que seule la confiance est de mise. L'IA permet de produire à très grande échelle des mensonges en matière politique ou autre. Elle permet de truquer des photos et des vidéos si bien qu'on peut nous faire croire que tel professeur a été mêlé à de la pédopornographie alors qu'il n'en est rien. Il ne peut pourtant se défendre... Résultat : plus personne d'un peu clairvoyant ne fait confiance à quelque information que ce soit. En réaction, on demande rapidement des lois permettant de contrôler l'IA pour pouvoir retrouver un semblant de confiance. On se voit répondre que cela prendra beaucoup de temps et surtout qu'il faut que ces lois et mesures soient valables dans le monde entier. Si tel n'est pas le cas, on trouvera toujours un endroit où produire du mensonge sans risque. Alors, en attendant qu'on se mette d'accord partout dans le monde, on nous demande de faire confiance aux journalistes dont on attend qu'ils vérifient leur sources qui sont de moins en moins vérifiables... Quand on ne peut plus faire confiance, on nous dit qu'il n'y a qu'une solution : envers et contre tout, faire quand même confiance. M;ais qui fait encore confiance à ce « faire confiance » complètement dévalué ?
Les relations interpersonnelles aussi sont fondées sur la confiance. L'amour l'est tout particulièrement. C'est la raison du reste pour laquelle on se méfie de l'amour totalement désintéressé (cf. mon blog du 8 mars 23). On n'ose pas trop s'y lancer parce qu'il exige une confiance totale en l'autre qui pourrait toujours nous trahir, jouer avec notre naïveté, abuser de notre désintéressement... On lui préfère l'assurance de l'amour-rétribution : je te donne à condition que tu me donnes en retour ou que tu m'aies déjà donné. J'ai besoin de certitudes, d'assurances, de béquilles en amour comme en amitié. Mais peut-on vraiment prendre des assurances là où seule la pure confiance est de mise ? Peut-être est-ce pour cela que tant de couples, mariés ou non, cassent.
La confiance est partout nécessaire. Mais partout aussi on a peur qu'elle soit trahie. On aimerait pouvoir faire vraiment confiance, c'est-à-dire faire confiance avec la certitude qu'on ne sera pas déçu. On pense que lois, institutions, cadres formels permettent de minimiser les risques. On fait erreur, car ce sont là autant de réalités relatives, limitées, bornées, changeantes, donc décevantes.
Alors on se dit : tant qu'à faire confiance, mettons notre foi dans un dieu. C'est le cas de la chrétienne1. Elle fait confiance à une parole transmise depuis bientôt deux mille ans. Cette parole se veut absolue, car inconditionnelle. Elle lui promet qu'elle possède une valeur sans qu'elle ait besoin de la mériter. Elle lui dit qu'elle peut être radicalement libre si elle lui fait confiance. Elle lui assure qu'elle peut vivre une vie cohérente. A chaque fois il lui suffit d'avoir foi en cette promesse. Plus encore, lorsqu'elle lui fait confiance, ce qu'elle lui promet se réalise ! Cette chrétienne fait une confiance absolue à une parole qui se présente comme absolue. Cela signifie aussi qu'elle court un risque absolu. Elle parie comme l'expliquait si bien Blaise Pascal.
Dans le pari de Pascal, notre croyante pouvait tout gagner comme tout perdre. Il se peut effectivement que la promesse de liberté ne me donne qu'une illusion de liberté, que je me sente par trop responsable et qu'arrivé à un certain âge, je me dise qu'il eût mieux valu que je mène égoïstement ma vie sans me perdre mon temps à servir Dieu et mon prochain.
Mais, selon le pari de Pascal, même si notre croyante perdait tout – parce que Dieu n'existerait pas ou ne réaliserait pas ses promesses – , son pari en faveur de la confiance mise en Dieu avait des effets imprévisibles. Quelles pourraient être les retombées collatérales positives d'une confiance faite à la promesse d'une vie en plénitude ?
Si notre chrétienne a confiance que la promesse de sa valeur absolue est vraie, elle pourra par exemple se dire que ce n'est pas l'argent qu'elle avait investit dans Crédit Suisse qui pouvait lui assurer sa valeur. Elle ne va donc pas pleurer sur sa perte, même si sa vie en est rendue plus difficile. Notre chrétienne qui sait sa valeur absolue pour Dieu va ouvrir les yeux ou va pouvoir accepter davantage peut-être que précédemment que la valeur de nos institutions soit très relative. Mais elle va aussi mener campagne contre tous ceux qui se prétendent pleins de valeur, qui valorisent leurs produits et demandent de leur faire une absolue confiance. Elle va peut-être refuser de voter, lors des élections fédérales de l'automne pour des hommes et des femmes qui lui demandent de faire confiance aux institutions fédérales en matière de réglementation des grandes banques et qui font elle-même confiance aux banques too big to fail.
Notre chrétienne qui fait confiance à la promesse de sa liberté absolue, même si cette liberté s'avère un jour illusoire, saura prendre distance à l'égard de toutes les informations qui lui parvienne. Elle se sentira libre de laisser passer du temps pour considérer ces informations avec une distance critique, en comparant en particulier plusieurs sources d'information. Elle se dira peut-être que son besoin d'être informée à chaque instant est une forme de divertissement.
Elle qui met sa confiance en cette parole qui lui dit qu'elle peut vivre une vie vraie, cohérente, où elle peut fait corps avec elle-même relativisera les mensonges et les trahisons de ses amis et amours. Elle pourra pardonner plus facilement ou, si nécessaire, tourner le dos plus aisément à ses attachements passés et décevants. Mais elle pourra aussi faire montre d'authenticité dans sa relation aux autres, même si elle risque toujours d'être trahie, exploitée, malmenée par ces autres.
Même si ce qu'elle appelle la bonne nouvelle se révèle être une fake news, en vivant de l'évangile, notre croyante vivra une vie qui lui paraît plus vraie, plus libre, plus juste que ce qu'elle voit autour d'elle.
1Plutôt que de m'emmêler les pinceaux avec le politiquement correct de l'écriture inclusive, je préfère choisir de temps à autre le masculin, de temps à autre le féminin.