Turquie, Syrie, Dieu et le mal
Face au terrible tremblement de terre qui s'est produit en Syrie et en Turquie, vous avez probablement entendu en vous ou autour de vous la question : si Dieu est bon et tout-puissant pourquoi permet-il tant de mal ? Il semble que soit Dieu est bon, mais ne doit pas être considéré comme tout-puissant, soit il est tout-puissant, mais il faut se résoudre à renoncer à le déclarer bon. Or Dieu est-il encore Dieu s'il n'est pas à la fois bon et tout-puissant ?
En Eglise, on a bien naturellement cherché à trouver des parades à ce type d'objection à l'existence de Dieu.
Certains affirment que le mal qui nous arrive est toujours, d'une manière ou d'une autre, une punition divine. Pourtant le Dieu dont les chrétiens prétendent qu'il s'est donné à connaître en Jésus de Nazareth n'a-t-il pas mis fin, en Jésus précisément, à toute idée de rétribution et donc de punition ? Un dieu qui donne gratuitement, sans qu'aucun préalable ne soit exigé et sans qu'il faille payer après coup pour ce don n'est pas un dieu susceptible de punir. Le mot « rétribution » n'appartient pas à son vocabulaire.
On a alors tenté de dire que, par l'intermédiaire du mal, Dieu veut nous faire comprendre quelque chose. Nous qui avons par trop pris nos distances à son égard, il aimerait, selon un schéma que l'on trouve dans l'Ancien Testament, nous ramener à lui (exemple : Juges 2,20-23). Certes, c'est possible, mais pourquoi Dieu insiste-t-il tant ? pourquoi permet-il des catastrophes naturelles si radicales qu'elles font bien plus douter de lui qu'elles ne ramènent les pécheurs à la vraie foi ?
Alors certains se sont faits partisans du « tzimtzoum » cher au kabbaliste Isaac Louria (1534-1572). Pour lui, le premier acte de Dieu n'est pas un acte en direction de l'extérieur de lui-même, mais un acte de contraction sur lui-même pour laisser de l'espace à un vide où prendra place le monde. Une variante voit Dieu créer le monde et immédiatement se retirer de ce monde qu'il abandonne à lui-même. Dans une version comme dans l'autre, on imagine que le monde est ténèbres et que ne s'y trouvent que des particules lumineuses éparses. La tâche de l'homme est de réunir ces bribes de divin avec l'aide de la loi de Dieu afin de s'extraire du monde. Dieu n'est pas dans le monde, n'agit pas dans le monde, donc n'est pas responsable du mal. On frôle alors le gnosticisme et tous les dualismes qui prétendent qu'il y a deux dieux : l'un créateur du monde mauvais, l'autre, le Dieu bon, qui veut nous sauver de l'emprise de ce monde mauvais. L'inconvénient ici c'est que le monde n'est plus la bonne création de Dieu dont parle la Bible, mais un espace mauvais dans lequel quelques bribes de lumière sont dispersées. Une telle manière de voir incite à désespérer de notre inscription dans le monde. Un chrétien devrait donc chercher à s'en détacher le plus vite possible pour se fondre en Dieu. Est-ce vraiment là ce que le Christ nous a enseigné ?
Toutes ces tentatives de justifier Dieu malgré l'existence du mal (en terme technique : toutes ces théodicées) partagent un erreur avec ceux qui justifient leur athéisme ou pour le moins leur agnosticisme en affirmant que Dieu ne peut être à la fois bon et puissant en regard de la réalité du mal. Cette erreur consiste à prétendre savoir ce qu'est la toute-bonté et la toute-puissance de Dieu. Tous partent de ce qu'ils imaginent être la bonté absolue et la puissance absolue et le projettent sur ce qu'ils appellent Dieu. Or qui sont-ils pour imposer à Dieu une définition de ce que doit être sa bonté et sa puissance ?
Dit autrement : quand on dit « dieu », on dit d'abord qu'il s'agit d'un être radicalement libre. On le qualifie parfois de Seigneur ou de roi. Un roi est en principe l'être le plus libre qui soit dans son royaume. Tout ses sujets – le mot le dit – lui sont soumis. Et il est en droit de modifier son avis comme bon lui semble... Le roi des rois est bien plus libre que le plus libre des rois. Dès lors que l'on admet que le premier qualificatif (ou attribut en terme technique) de Dieu est sa liberté, on doit admettre que Dieu soit libre d'être bon comme bon lui semble. Il est également libre d'exercer sa puissance comme il l'entend. Nous ne saurions lui imposer notre manière de concevoir ce que sont bonté, force et puissance. Lorsqu'il s'est approché de nous en Jésus, il a manifesté la toute-puissance de son amour dans un enfant né dans la misère d'une crèche et en un prédicateur itinérant mort crucifié. Ce n'est pas ainsi que nous nous représentons naturellement Dieu.
L'objection est alors qu'on ne peut plus rien dire sur Dieu parce qu'on ne peut rien savoir à son propos. Une variante veut qu'on ne puisse plus décider en connaissance de cause de mettre sa confiance en lui. Je répondrai qu'effectivement il nous faut renoncer à tout discours sur Dieu. La seule chose que nous puissions dire de lui en dehors de ce qu'il nous dit de lui en Jésus de Nazareth, c'est qu'il est l'être libre par excellence. Cela signifie que nous ne pouvons spéculer à son propos. Nous ne pouvons juger de Dieu et de son action dans le monde d'un point de vue extérieur à notre relation à lui. Nous ne pouvons ainsi parler que de notre relation à Dieu et cela, très humblement, à partir de la position humaine donc bornée qui est la nôtre. Or la conviction profonde des chrétiens, c'est que Dieu nous en rencontrés dans cette condition limitée en l'un de nos semblables : Jésus. C'est à partir de ce que Dieu nous a dit de lui en Jésus-Christ, que nous pouvons nous risquer à en parler.
Toutefois Jésus ne nous a pas parlé de Dieu tel qu'en lui-même. Il nous a parlé d'un père bon qui veut notre bien, notre salut. Il nous a dit que Dieu nous promettait que notre vie avait un sens en dépit de tous les non-sens de nos vies et de notre monde. Il nous a promis de la part de Dieu que nous pouvons vivre dans la liberté nonobstant tout ce qui la bride, la limite et l'aliène. Il nous a montré qu'on pouvait vivre dans la vérité malgré tous nos mensonges et tous les mensonges qui nous assaillent. Et au travers de ces « malgré », de ces « nonobstant » et de ces « en dépit de... », il nous a appelé à résister au mal. Ce que Dieu peut nous dire par le mal qui nous tombe dessus, c'est qu'il compte sur nous pour, à son service, résister au mal en général et à ce mal en particulier..
Dans un prochain blog il me faudra revenir sur la question de savoir si l'on peut encore parler de la providence de Dieu, c'est-à-dire de sa capacité à pourvoir à nos besoin et à intervenir – selon son bon plaisir naturellement – dans notre vie et notre monde.