Pourquoi nos institutions ecclésiastiques se portent-elles si mal?
Au Conseil Synodal Vaudois il y a eu quatre démissions en un peu plus d'une demi-législature. Ces temps-ci le nombre de ministres qui sont burned-out est élevé. Il y a certainement plusieurs raisons à cela. J'aimerais en évoquer une qui en principe ne devrait pas être présente en milieu chrétien.
Depuis des années, on rêve de gérer les Eglises comme des entreprises. On met en œuvre tous les outils à la mode pour les diriger. En son temps il y eut ceux qui étaient charmés par le New Public Management. On a ainsi introduit le travail par objectifs. Le terme de « gouvernance » est plus tard devenu omniprésent. Arrêtons-nous à ce terme qui a la même origine grecque que « cybernétique ». La cybernétique vise à gouverner un système avec un objectif précis. Tel thermostat doit maintenir la température entre 19 et 20 degrés. Le problème, c'est que, dans la « gouvernance », on n'assigne pas des objectifs à des machines, mais à des humains. Quand un objectif est atteint – idéologie du progrès oblige – , on en fixe un plus élevé. A toujours mettre la barre plus haute, il n'y a rien d'étonnant à ce que ceux qui doivent atteindre les objectifs s'épuisent. A noter que l'idée qui veut qu'on pense par objectifs s'est si bien incrustée dans les esprits que certains s'imposent à eux-mêmes des objectifs toujours plus élevés sans que personne ne les contraigne plus.
Cette idée d'objectif est une vieille affaire. Aristote déjà avait pensé que tout dans le monde avait une « cause finale ». Certains en ont déduit que l'homme était sur terre pour accomplir un certain nombre de tâches visant à atteindre justement un objectif (accomplir la loi, instaurer le royaume de Dieu, faire triompher le Bien, chercher le plus grand bonheur de tous en cherchant son bonheur personnel, etc.). Malheureusement plus l'objectif est élevé, plus les humains sont désespérés, car incapables de l'atteindre. Depuis le temps que les humains cherchent à faire le bien et que celui-ci leur semble toujours aussi éloigné...
Le christianisme ne propose pas de travailler avec des causes finales ou des objectifs à atteindre et à dépasser. Il ne nous dit pas : « Aime ton prochain et tu seras sauvé, tu vivras en plénitude, tu iras au ciel ». Il nous dit que c'est parce que nous avons été aimés inconditionnellement par Dieu que nous sommes appelés à aimer notre prochain comme nous-mêmes. Parce que nous sommes gratuitement sauvés, il nous appartient d'en tirer les conséquences dans nos relations horizontales. La cause de notre action est en arrière de nous (l'amour de Dieu), non en avant (le paradis). Parce que j'ai été interpellé par une parole donnant sens, liberté et vérité à ma vie, je me mets au service, avec les moyens qui sont les miens, de Dieu et du prochain. Je ne le fais pas pour rendre ma vie libre, vraie et sensée.
Ce renversement de perspective a pour effet que, en christianisme on est en droit de ne pas fonctionner dans une logique de rentabilité toujours plus grande et même de toujours plus grande efficacité ! Il y a même là, pour ceux qui aiment les signes prophétiques, un signe à adresser à la société qui tente de maîtriser sa destinée alors que c'est Dieu qui en est le maître. Une ministre ou une responsable d'Eglise n'a pas à être efficace ! Elle n'a qu'à humblement faire ce qu'elle doit faire : annoncer la parole de Dieu, c'est-à-dire « planter et arroser » (I Corinthiens 3.6). C'est Dieu qui fait croître. Si son activité ne rencontre pas le succès escompté, cette personne n'en est pas responsable de façon ultime. Cela ne devra pas l'empêcher de préparer avec le plus grand soin son prochain catéchisme ou sa prochaine réunion administrative. Mais puisque les fruits de son activité ne dépendent pas d'elle, elle peut fort bien ne pas seulement aimer son prochain, mais aussi s'aimer soi-même, prendre du temps pour soi... Vu l'appel à transmettre la parole qui la fait vivre, elle ne peut cependant pas paresser, mais elle saura aussi ne pas se tuer à la tâche.