Quand le politique et le religieux se tiennent par la barbichette
Au Sénat italien, le ministre de l’Intérieur embrasse un crucifix. Cette image me poursuit, je ne peux pas me taire. Ce mélodrame politico-religieux atteint son paroxysme quand il s’accompagne de cette déclaration dudit sénateur: «J’ai rendu l’Italie plus sûre; j’ai fermé les ports et je le referai si le bon Dieu et les Italiens me redonnent la force de retourner au gouvernement.» (Cf. article dans Le Temps du 21 août Giuseppe Conte tire sa révérence avec fracas).
Décidément, Dieu semble faire recette en politique. C’est grâce à lui que Matteo Salvini prétend avoir été élu au gouvernement. Dans le même genre, Donald Trump s’appuie notamment sur des communautés évangéliques fondamentalistes extrêmes pour remporter l’élection de mi-mandat, leur donnant des gages et plaçant certains de leurs dirigeants dans son administration. Jair Bolsonaro poursuit la même politique utilisant et se laissant utiliser par des communautés pentecôtistes. Défendre la chrétienté devient un sujet en politique, Dieu un enjeu, très souvent comme un prétexte à attirer des électeurs, parfois de manière sincère. L’histoire nous apprend pourtant que la collusion du pouvoir politique et religieux amène à la pire des violences. Car la politique alors veut gouverner les consciences et décider de ce qui qu’il convient de penser et de croire. Les non conformistes finissent par être persécutés, mis en prison, éliminés.
Pouvoir penser par soi-même sans être sous la tutelle de quelqu’un qui dit ce qu’on doit penser, faire, croire ou ne pas croire
C’est ce qu’on nomme la liberté de conscience inscrite dans la Convention des Droits humains et dans la Constitution de notre pays, une liberté de conscience mise actuellement en péril dans de nombreux pays. La liberté de conscience est le plus beau fruit de la sécularisation née d’un mouvement social et religieux européen du 16e siècle. Le moine réformateur Martin Luther y a fortement contribué. «On ne peut gouverner le monde par l’Évangile, car cela supposerait que tous sont chrétiens.» Lui-même, en conscience, s’opposera au pouvoir religieux de son temps en proposant un débat théologique à partir des textes bibliques qui remettait en cause certaines pratiques de son Église. Le réformateur dira encore: «Je ne peux, avec la parole, aller plus loin que les oreilles; je ne peux pas arriver au cœur»; autrement dit, l’Évangile et ses conséquences sur la morale et l’éthique ne peuvent être imposés. La liberté de croire ou de ne pas croire trouve ses prémisses dans le combat du réformateur et de ses successeurs.
En Suisse, nous sommes les héritiers de ces précurseurs courageux qui ont amené à la sécularisation et à la liberté de conscience.
Les politiciens suisses, comment s’emparent-ils de la question de la religion?
Sujet miné s’il en est, la religion suscite pour le moins l’embarras. La plupart des interventions des politiciens ont trait à l’islam, nous dit une étude relayée par l’Agence de presse Protestinfo, le 13 août dernier, une tradition religieuse nouvelle venue dans les débats.
Comment s’y prendre?
Renvoyer le religieux à la sphère privée des individus, voire l’éliminer? Cette tentation du sécularisme est une illusion. Car elle invite au développement d’un libre marché du religieux où la communauté ou l’Église qui a le plus d’argent et d’influence impose sa loi.
Ou pire encore, faire de la Suisse un État religieux et réinstaurer la chrétienté?
La Suisse a su à travers les siècles régler intelligemment cette question. Si notre pays a connu des conflits religieux entre catholiques romains et protestants, ils ont été pacifiés notamment grâce à la création d’institutions politiques qui font aujourd’hui encore leurs preuves. Le Conseil aux États, la chambre des cantons au niveau fédéral, a été créé dans ce but.
Aujourd’hui, la laïcité à la Suisse est un instrument juridique efficace. Les Constitutions cantonales de Neuchâtel et Vaud, par exemple, donnent la possibilité de reconnaissance par l’État à d’autres communautés religieuses avec, comme contrepartie, un engagement à respecter les lois républicaines, à faire preuve de transparence financière, à collaborer avec les autres communautés et Églises reconnues etc. Cette reconnaissance instaure un partenariat qui, tout en préservant la neutralité de l’État sur le plan religieux, lui donne les moyens de réguler un phénomène dont l’on sait qu’il peut être utilisé à des fins de manipulation et de pouvoir.