Les Eglises, « loin des réalités » ?
En réponse à Monsieur Joël Burri de Réformés, à propos de l’initiatives multinationales responsables, les paroles de Monsieur Jean-Pascal Bobst me surprennent. Il dit, sur les prises de position des Eglises : « Cela donne l’impression que les Églises sont loin des réalités. C’est important que les Églises se profilent, qu’elles jouent un rôle dans notre société, qu’elles affirment des valeurs, mais peut-être qu’elles doivent un peu plus se renseigner. Elles devraient agir un peu moins par dogmatisme, mais en suivant des valeurs chrétiennes. » (1).
Cette initiative a été portée d’abord par un certain nombre d’œuvres d’entraide, y compris celles des Eglises. Ces organisations sont présentes sur le terrain, aux quatre coins du monde. Les réalités, elles les connaissent et leurs partenaires locaux se chargent de les leur rappeler. Leur action dépend de cette connaissance des situations concrètes. Ce sont elles qui renseignent d’abord les Eglises avec lesquelles elles travaillent.
Quand j’apprends, par exemple, la situation d’un village du Nigéria situé à côté d’une usine de production de ciment dépendant de Lafarge-Holcim, je découvre les dégâts commis et les souffrances vécues, comme l’impossibilité d’obtenir une justice équitable dans les procès entrepris sur place. Les renseignements sont bien là, confirmés par des médecins et des juristes (2).
Bien sûr, la réalité n’est jamais univoque. Monsieur Bobst en connaît probablement d’autres facettes. Les Eglises, grâce à leurs œuvres d’entraide et à leurs contacts sur place, sont probablement plus proches de la réalité des dégâts causés par les entreprises que certains dirigeants économiques. Je suis frappé par le nombre d’exemples donnés tout au long de la campagne par de nombreuses ONG. Chacun est tenté de privilégier les renseignements qui le confortent… moi le premier.
Quant aux valeurs chrétiennes, quelles sont-elles ? La confiance, la responsabilité individuelle, le respect, l’honnêteté, le pardon, la justice, l’efficacité, la solidarité, l’attention aux plus démunis, voire le profit comme bénédiction divine… Suivant lesquelles vous mettez en avant, tout peut se justifier, ou presque, et bien souvent elles entrent en conflit les unes avec les autres. Lesquelles privilégier alors ?
Monsieur Bobst craint une mise en œuvre légale extrême qui bloquerait le développement économique. En théorie, ce pourrait être possible. La loi d’application est encore inconnue mais il est peu probable que la majorité actuelle des chambres, prévoie une application extrême… La nature d’une initiative est de définir des principes constitutionnels qui ensuite devront être mis en œuvre dans une loi. Imaginer une loi extrême, c’est peindre le diable sur la muraille pour mieux faire peur. Ce n’est pas du réalisme.
L’initiative, si elle passe, obligera des juges suisses à s’occuper de réalités d’autres pays. C’est vrai que c’est compliqué. Ce n’est pas totalement nouveau, les frontières n’arrêtent pas les délinquants et le crime a aussi ses « multinationales ». Ce serait mieux que des tribunaux locaux soient compétents, tout le monde est d’accord, mais quand ils ne le sont pas, ce sont les victimes de là-bas qui nous demandent d’intervenir.
Je suis d’accord avec Monsieur Bobst que « c’est important que les Églises se profilent, qu’elles jouent un rôle dans notre société ». Je crois qu’elles doivent voir les faces cachées de la réalité et se préoccuper de celles et ceux qui en souffrent, à la suite de Jésus, attentif aux laissés pour compte de son temps, lépreux, malades, prostituées, petits enfants… Elles doivent aussi, à la suite des prophètes, dénoncer les injustices et lutter pour une justice sociale, au nom de ce Dieu qui entend les victimes et dit : « Je suis compatissant, moi » (Ex 22,26).
Plus je me renseigne, plus je me dis que cette initiative, même imparfaite, est nécessaire.
2. Documentaire « Multinationales : l’enquête », https://initiative-multinationales.ch/
