Le pouvoir subversif de l’Evangile
Si la Bible est si difficile à comprendre, et si ses interprétations sont si variées, c’est parce que l’Evangile possède un pouvoir subversif très puissant : il tend « à troubler ou à renverser les notions admises et acquises » (Grand Larousse). Jésus développe une conception théologique et philosophique du monde selon laquelle les rapports que les choses entretiennent entre elles dans ce monde ne reflètent que très imparfaitement les rapports qu'elles entretiennent sous le regard de Dieu, dans l'Evangile. La différence entre le réel et l'absolu est ainsi maximisée.
Le Christ n’est pas sorti du judaïsme, il est mort en tant que « roi des Juifs », et ce sont ses disciples qui ont été amenés, en raison de l’ampleur de sa révolution spirituelle, à fonder une nouvelle religion, le christianisme, qui n’a pas tardé à s’éloigner de l’état d’esprit du maître. L’envergure de la pensée de Jésus de Nazareth est si large, et les interprétations qu'elle suscite sont si nombreuses, que tout en étant profondément enracinée dans le judaïsme, elles se laisse difficilement limiter à une seule tradition et développe un esprit universaliste.
Qu’y a-t-il que le Christ n’ait pas renversé ? Des chefs religieux, il a fait des imposteurs ; des exclus de la société, il a fait les premiers destinataires de son appel ; des paralytiques, il a fait des marcheurs ; des aveugles, il a fait des voyants ; d’une tempête, il a fait un grand calme ; d’une disette, il a fait un repas de fête ; de l’eau plate, il a fait du vin ; des riches en ce monde, il a fait des pauvres spirituellement ; des égarés, il a fait des instructeurs ; des femmes rabaissées, il a fait ses intimes confidentes ; des coupables, il a fait des pardonnés ; des pécheurs, il a fait ses amis ; des derniers, il a fait les premiers ; de ses souffrances, il a fait une délivrance ; de sa mort, il a fait une résurrection ; de sa défaite, il a fait une victoire sur le monde, et de sa modeste personne, il a fait un Messie.
Si tout se transforme sous le regard du Christ, comment voulez-vous, dès lors, que la lecture de la Bible ne suscite pas de malentendus ? Tout ce qui est estimé risque d’être réduit à rien ; tandis que ce qui n’existe pas, Dieu l’appelle à l’existence. Quiconque s’abaisse sera élevé, et qui s’élève sera abaissé. Il s’ensuit que l’optique de vie qui paraît la plus humiliante, la reconnaissance du péché, s’avère en fin d’analyse la plus libératrice, car elle fait éclater nos tentatives de retenir la vérité captive, nous délivrant ainsi de nos propres enfermements, et de nos mésestimes d'autrui.
Où se situe le péché et qui sont les élus de Dieu ? Qui condamnera ceux que Dieu pardonne ? Qui haïra ceux que Dieu aime ? Si l’Evangile est divin, s’il y a bien une révélation, c’est dans cette subversion de ce qui paraît vile ou fade en ce qui est honorable aux yeux de Dieu. Combien y a-t-il de gens qui nous méprisent, en cette vie, et qui nous écraseraient s’ils le pouvaient, mais Dieu veille sur les siens.
Si nous disons que l’être humain est péché, ce n’est pas pour l’accabler, mais pour le libérer de lui-même, et quelle libération ! Si nous prenons sur nous le joug du Christ, il prend sur lui le nôtre, et quel avantage pour nous ! C’est une sagesse cachée de considérer les ennuis comme des avantages et les épreuves comme des bénédictions. Le chemin du Christ fait de nombreux détours et traverse des déserts, mais il conduit au ciel.
Billet dominical publié à l’origine dans le Journal du Jura du 15 juillet 2023.
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