Fins du monde
De l’Antiquité à nos jours, l’angoisse d’une fin du monde proche a traversé les siècles. Dans la logique biblique, la destruction du monde humain peut avoir lieu soit par une catastrophe naturelle, comme l’inondation du déluge dans l’histoire de Noé, soit par un conflit généralisé, à la fois militaire, social et spirituel, comme dans l’Apocalypse de Jean. La particularité de ces prophéties consiste à présenter les derniers temps comme étant à la fois proches et lointains. Selon la Bible, l’histoire humaine est constamment menacée de s’éteindre, l’humanité n’ayant jamais la garantie de se perpétuer. Tout se passe comme si les gens d’une époque avaient tendance à considérer leur génération comme étant celle où se joue le sort décisif de l’histoire, alors que ce dernier ne fait que se perpétuer d’âge en âge.
Les textes bibliques présentent les temps de la fin à la fois comme un drame et une libération des forces du mal. L’espérance s’y trouve mêlée à la peur. Par exemple, le livre du prophète Joël décrit une époque de guerres atroces, de fléaux naturels, de don de l’Esprit divin à tous les humains, de jugement universel et de victoire finale du peuple de Dieu, inaugurant une ère paradisiaque. Ces thèmes sont repris dans les Evangiles : Matthieu évoque le jugement dernier par le Christ (Mt 25,31-46), tandis que l’évangéliste Jean parle des fins dernières en des termes plus évasifs et individuels, soulignant surtout le don de la vie éternelle à quiconque croit au Fils de Dieu (Jn 3,16).
L’eschatologie, science des temps derniers, a toujours fasciné les humains. Elle concerne notre mort, notre vie après la vie et l’extinction des civilisations. Ces thèmes ont marqué le Moyen-Âge, notamment au passage de l’an mille, en lien aux prédictions millénaristes de l’Apocalypse (chap. 20), puis avec les prophéties de Joachim de Fiore. A l’époque moderne, l’apocalyptique n’a pas disparu. Les théories scientifiques y ont ajouté de nouveaux éléments sans éliminer les croyances religieuses.
L’astrophysique prévoit que le Soleil, aujourd’hui proche de sa demi-durée d’existence, deviendra une étoile géante rouge dans 5,5 milliards d’années environ, avant son extinction finale. La Terre sera alors complètement dissoute ou du moins calcinée à une température de plus de 1000 degrés. La vie sur Terre a donc un terme, qui proportionnellement n’est pas si lointain, si l’on considère que les premières structures biologiques ont évolué jusqu’à l’Homme en 3 ou 4 milliards d’années. A une tout autre échelle de temps, certaines prédictions écologiques nous menacent d’une catastrophe naturelle imminente, qui pourrait porter un coup fatal ou mettre sérieusement à mal le développement de l’humanité. Cette pression écologique génère actuellement en Occident de la culpabilité, de l’inquiétude, un certain activisme et parfois des positions radicalisées. Par ailleurs, depuis l’avènement des armes nucléaires, l’humanité est capable de s’autodétruire en peu de temps.
Ces discours de la Fin ne doivent pas nous troubler excessivement. Dans les petites apocalypses insérées dans les trois Evangiles synoptiques (Mt, Mc et Lc), après avoir enseigné ses disciples au sujet des malheurs à venir, le Christ prononce ces paroles énigmatiques : « ne vous alarmez pas : il faut que cela arrive, mais ce ne sera pas encore la fin » (Mc 13,7). L’aboutissement du cortège des souffrances de l’humanité et des écosystèmes naturels semble ainsi devoir être repoussé vers un avenir indéterminé. Dans la perspective de l’Evangile, ces paroles du Christ n’ont pourtant pas de visée fataliste : Le sens de notre existence consiste sans doute à veiller à la qualité de toute vie sur Terre, car la vie actuelle, dans toute sa richesse passagère, se présente comme les prémices du Règne de Dieu, dont l’accomplissement se situe dans un au-delà de l’histoire.
Texte publié sous forme réduite le 17 juillet 2021 dans le Journal du Jura.