Notre Dame ou l'impossible vacuité
Il y a deux semaines, Notre Dame de Paris a brûlé, mais partiellement, de manière à permettre d’imaginer sa reconstruction. Le symbole qu’elle représente n’est donc pas anéanti. Il est au contraire fortement questionné et mis en valeur. Dans tous les esprits, de quelque bord soient-ils, conservateurs ou libéraux, religieux ou laïcs, croyants ou athées, français ou non, européens ou non, sa reconstruction s’impose comme indispensable. Mais pourquoi ? La nature a horreur du vide, dit-on, et une telle vacuité au cœur de Paris semble tout simplement inimaginable. Quelle est donc cet insupportable néant mis à nu par la cathédrale des cathédrales éventrée ?
A vrai dire, nous n’en savons rien. Mais le sentiment de nécessité de reconstruire cette toiture est si fort qu’il en devient métaphysique. S’agit-il du fondement romano-chrétien sur lequel est bâtie notre civilisation de la liberté ? Si cette hypothèse est confirmée, elle signifie que notre modernité occidentale ne peut se penser sans le Moyen-Âge et l’Antiquité où elle puise ses racines. L’Europe moderne n’est pas une structure autoportante. Jérusalem, Athènes et Rome sont toujours là, secrètement amalgamées au cœur de Paris. En ce sens, se dire héritier de la Réforme, ce n’est pas occulter ce qui précède la Renaissance dans l’illusion de fonder une religion rationnelle et pure, mais s’inscrire à nouveaux frais dans une histoire irrémédiablement longue. Ce qui est en jeu dans la manière dont sera reconstruit cet édifice, c’est la lumière avec laquelle notre société entend éclairer l’histoire humaine, le monde présent et celui de demain dans leur ensemble.
Notre monde occidental est un compost de mystique chrétienne sécularisée, enrichi de quelques adjuvants orientaux, et s’il tourne le dos aux Eglises, toutes confessions confondues, c’est qu’il se comprend lui-même comme « l’Eglise universelle », dont chaque être humain occidentalisé serait une pierre vivante. La vie des européens se reflète dans la cathédrale Notre Dame, quotidiennement vouée à recueillir un flux de touristes artificiellement nostalgiques d’un temps sacré qui fut une citadelle de contraintes religieuses, dont nous sommes à la fois graciés et disgraciés d’être les héritiers libérés.
Gilles Bourquin