Noël, l'universelle naissance

Hieronymus Bosch (1450–1516), L'adoration des Mages / Hieronymus Bosch
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Hieronymus Bosch (1450–1516), L'adoration des Mages
Hieronymus Bosch

Noël, l'universelle naissance

Par Gilles Bourquin
16 décembre 2018

La signification chrétienne de la fête de Noël n'est pas fondamentalement différente de celle de Pâques. Dans les deux cas, il s'agit de la naissance d'un Homme nouveau, céleste et libérateur, à partir d'une condition humaine précaire dans le cas de Noël, et franchement catastrophique dans le cas de Pâques. Dans les deux situations, une Lumière apparaît dans la nuit : le Christ nouveau-né dans une famille juive pauvre et migrante pour des raisons politiques, le Christ ressuscité dans un climat de panique et de désespoir à la suite du drame de la crucifixion de Jésus.

Une signification universelle

Le mot français « Noël », rappelons-le, provient de l’adjectif latin « natalis », qui désigne ce qui est relatif à la naissance. Par ses deux fêtes principales, Noël et Pâques, qui toutes deux proposent une « naissance », le christianisme ne se distingue pas fondamentalement du cadre plus général des religions de l'humanité. La plupart des croyances religieuses reconnaissent en effet que la première naissance de l’homme, déterminée par la biologie, le parachute dans le monde sans lui donner d’« explication ». L’humain est livré à lui-même et advient au monde sans l’avoir choisi, a posteriori, une fois que le fait est accompli. Du point de vue des religions, cette « condition » humaine est insatisfaisante (en tous cas partiellement) et nécessite une « deuxième naissance », spirituelle celle-ci, au travers de laquelle l’homme apprend à percevoir le sens de son existence terrestre empreinte de souffrance et trouve les forces et l’orientation de mener sa vie en référence à des valeurs « absolues ».

Dans l’Antiquité, certaines sectes avaient développé des rites parfois très complexes, associés à la consommation de substances hallucinogènes ou à la révélation de mystères tenus secrets, afin d’introduire le nouvel « élu » dans la dimension spirituelle. En Orient, ces pratiques initiatiques étaient extrêmement diversifiées. Par exemple, l’illumination bouddhiste, la « bodhi » qui engendre un bouddha, représente la naissance à l’état d’éveil spirituel. Le rite chrétien du baptême rappelle lui-aussi ces démarches de transition spirituelle, en associant le converti à la mort et à la résurrection du Christ.

Le christianisme, de l'insignifiance à la révélation

Comme toujours, on le voit, la posture chrétienne est à la fois extrêmement spécifique et universelle. La naissance du Christ Sauveur est concrètement un fait ultra-particulier, un acte de naissance insignifiant dans une banlieue sud de Jérusalem ; mais pour le chrétien, cet acte là – et pas un autre ! – signifie la naissance de l’Evangile, le lieu de l’irruption totalement imprévisible du Règne de Dieu dans le quotidien banal et pesant de l’humanité terrestre. Il y a toujours, dans le christianisme, la fragilité d’un événement qui ne saurait puiser ni son sens, ni sa valeur, ni sa justification dans la force politique ou dans l’intelligence des hommes, mais bien plutôt dans « la folie de Dieu qui est plus sage que les hommes, et dans la faiblesse de Dieu, qui est plus forte que les hommes » (1 Corinthiens 1,25).

Sociologiquement et philosophiquement, Noël et Pâques s’expliquent comme des symboles universels de la natalité, éclosion spontanée et « merveilleuse » de la vie dans le monde, quoique toujours vécue dans la douleur. Théologiquement, les mêmes fêtes s’expliquent de la façon la plus singulière, par l’apparition démunie du Messie dans le monde, seule Lumière qui puisse nous éclairer, nous libérer de nous-mêmes, nous transporter dans la vie divine, actes spirituels dont la réalisation nous échappe autant que notre première naissance. Philosophie et théologie s'articulent ainsi sans se substituer l'une à l'autre dans l'explication du fait religieux.