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Quelques pensées sur la pandémie
Par Dimitri Andronicos
26 mai 2020
- La pandémie a montré que nous appartenons tou·te·s à un même monde, en un sens qui hier encore était incompréhensible pour beaucoup. Nous voyons que l’absence de liberté politique en Chine ne peut nous être indifférent puisqu’elle a directement provoqué notre confinement ici. Le monde scientifique est lui aussi mondialisé, et c’est ainsi qu’un traitement et un vaccin pourront être découverts. Nous assistons également à une mondialisation de l’information, car ce qui se passe loin a autant d’importance, voire davantage, que ce qui arrive dans notre quartier, et dans tous les cas les deux sont intimement liés. Les différentes composantes de cette mondialisation politique, scientifique, informationnelle et économique ne sont pas séparables.
- Elle a montré avec la même acuité que, contrairement à ce que pensait Margaret Thatcher, la société existe bel et bien. Personne ne vit isolé·e, et la richesse de chacun·e dépend de l’activité de tou·te·s, non du génie ou de la quantité de travail abattue par quelques-un·e·s. En d’autres termes, la solidarité est une valeur qui se calque sur le fonctionnement effectif de toute société humaine.
- Contrairement aux Cassandres qui le claironnent sur tous les toits, les sociétés, ou le monde avec elles, ne sont pas en train de « s’effondrer ». Elles sont au contraire en train de montrer leur efficacité face à un défi d’une grande ampleur. Ses membres ont été capables, individuellement et collectivement, presque du jour au lendemain, de modifier leurs activités et les priorités entre ces dernières. Elles ont fait preuve d’un immense élan qui se traduit en une infinité de gestes et de paroles hier encore insoupçonnables ou inimaginables. Face aux défis sociaux et environnementaux du prochain siècle, une efficacité de même nature sera nécessaire.
- La pandémie ne témoigne en aucun cas d’une quelconque « vengeance » de la nature contre la mondialisation, le capitalisme, l’exploitation des animaux, la pollution, le « métissage généralisé », la « décadence des mœurs » ou le manque de foi. Laissons la « némésis » à la mythologie grecque. Une pandémie est un événement tragique qui tue, mais elle ne « punit » rien ni personne. Il faut l’affronter pour ce qu’elle est : une épreuve « naturelle » et « sociale », et comprendre que ces deux dimensions ne peuvent être séparées.
- Depuis quelques semaines, nous avons la preuve sous nos yeux qu’une alternative sociétale pour le monde est possible. Il y a là une opportunité de repenser plus radicalement nos engagements de demain. Sous l’égide de la protection des plus faibles, nous réapprenons à habiter au sein de notre société et à nous entraider. Nous assistons, chacun de notre côté, à une réinvention de ce quotidien; à travers de nouveaux gestes, une nouvelle manière d’être en lien.
- Nous avons vu depuis quelques semaines que l’économie n’est pas ce que ses représentants auto-désignés prétendent, mais qu’elle n’est que la somme de l’activité de chacun·e, et que ses priorités peuvent changer très rapidement. Elle n’est pas plus séparée de la politique que ne l’est le droit ou le monde associatif. La richesse produite collectivement doit donc être redistribuée également.
- Aujourd’hui, le personnel de la grande distribution, le personnel médical, les salarié·e·s sous-payé·e·s des services de livraison, tous ces corps de métiers sont enfin reconnus, d’une part dans leur absolue nécessité pour la vie quotidienne, et d’autre part pour le courage dont ils et elles ont fait preuve en tenant leur poste. Ce bouleversement de la hiérarchie sociale est salutaire, et nous rappelle ce que nous leur devons.
- Une société est évaluée comme juste du moment où elle prend comme critère le niveau de vie des plus vulnérables. C’est à travers la considération que nous avons des plus faibles d’entre nous que nous saurons si, comme collectivité, nous faisons preuve d’équité. La crise sanitaire a à la fois montré que nous en étions capables, mais a aussi dévoilé, dans les longues files d’attente des soupes populaires, une précarité persistante et invisible.
- Jusqu’où oserons-nous aller pour garder quelque chose de ces découvertes, de ce monde possible dont nous n’avons vu qu’un vague mais tangible éclat ? Bien des activités que nous avions hier se sont révélées être parfaitement dispensables pendant cet arrêt forcé, alors que d’autres nous apparaissent encore plus essentielles par leur disparition provisoire. Il faudra savoir faire la part des choses, entre les unes et les autres, et ne renouer qu’avec les activités les plus essentielles.
- Il y a aussi ce nouveau regard sur nos villes et nos villages, libéré du besoin compulsif d’acheter, nous renouons avec un espace plus disponible pour autre chose ; une errance joyeuse dans des lieux qui nous restitués pour la découverte.
- Nous reprendrons peu à peu le chemin de nos existences d’avant, nous reparlerons longtemps de ce que nous avons traversé pendant ces semaines. De quoi nous souviendrons-nous ? Nous nous souviendrons – aux côtés des douleurs et des difficultés – de l’apaisement, des rues sans voitures et sans bruits, du temps à disposition, des échanges, de la solidarité, de la simplicité, de tout ce qui est encore possible…
Antoine Chollet, politologue
Dimitri Andronicos, codirecteur de Cèdres Formation