Il est toujours dangereux de sous-estimer le religieux

La Russie envahit l'Ukraine. / IStock
i
La Russie envahit l'Ukraine.
IStock

Il est toujours dangereux de sous-estimer le religieux

Par Anne-Sylvie Sprenger
24 février 2022

«Mais pourquoi donc Poutine aurait-il envie de s’attaquer à l’Ukraine au-delà de la région du Dombass?» «Mais qu’aurait-il donc à y gagner?» Combien de fois avons-nous entendu, ces derniers jours, les différents observateurs du monde politique international exprimer leurs doutes quant à une invasion totale de l’Ukraine. Leur scepticisme allait même jusqu’à discréditer «l’alarmisme de Washington».

Jeudi matin, à l’heure où l’Ukraine se réveillait sous une offensive généralisée de son territoire, l’incompréhension était encore de mise: «Mais pourquoi Poutine se lance-t-il dans une entreprise aussi insensée et où il a tant à perdre?» Et pourtant, le discours du président russe, lundi soir sur la télévision nationale, n’était pas exempt d’indices sur ses réelles intentions.

Dès les premières phrases, une explication était pourtant clairement avancée: «Je tiens à souligner une fois de plus que l'Ukraine n'est pas pour nous un simple pays voisin. Elle fait partie intégrante de notre propre histoire, de notre culture et de notre espace spirituel.» Et une respiration plus loin: «Depuis les temps anciens, les habitants des terres historiques du sud-ouest de l’ancienne Russie se sont appelés Russes et chrétiens orthodoxes.»

Il y a donc, pour la Russie, un enjeu identitaire et résolument religieux à remettre la main sur l’Ukraine, ou plus précisément sa capitale. Dans les colonnes du «Temps», le spécialiste du monde orthodoxe Nicolas Kazarian, interrogé par notre agence, le formulait sans détours: «Kiev est la Jérusalem du monde orthodoxe.» Qu’y avait-il de plus à comprendre?

Bien sûr, on peut être radicalement athée et réfractaire à tout sentiment religieux. Il n’en reste pas moins que la religion reste un marqueur identitaire et idéologique puissant, qu’on le veuille ou non. Et ce indépendamment de la baisse réelle du nombre de croyants pratiquants.

Malheureusement, la religion n’appartient pas qu’aux seuls croyants. De fait, il est complètement utopique de rêver à un monde entièrement sécularisé, où le religieux n’aurait plus aucune incidence sur le réel. Il est encore plus dangereux d’imaginer que ce monde est déjà là, et de ne rechercher, dans un pragmatisme raisonné, que des causes économiques ou stratégiques aux volontés nationales. Certes, il ne s’agit pas ici d’une guerre de religions, mais bien, pour la Russie, d’un combat pour un symbole religieux à reconquérir.