Les personnes mentalement handicapées, championnes de l'oecuménisme
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§Il est rarissime de voir des catholiques et des protestants côte à côte dans une même cérémonie de confirmation.§
En effet. Des divergences théologiques subsistent qui rendent délicat son accomplissement de manière œcuménique. Pour les personnes handicapées, au contraire, la confirmation est un instant de réunion.
§Les personnes mentalement handicapées auraient-elles une meilleure capacité à surmonter les divergences confessionnelles que nous autres "normaux"?Certainement. Le handicap les oblige – et nous oblige - à aller à l'essentiel. Comme ils n'ont pas la possibilité de faire autant de choses que nous, ils cherchent la colonne vertébrale du message biblique et n'ont pas l'occasion de s'appesantir sur les différences confessionnelles. De plus, avant d'être catholiques ou protestants, ce sont surtout des gens qui doivent se surpasser pour évoluer dans un monde qui n'est pas fait pour eux. Cette communauté de destin les rapproche et les amène à collaborer.
§Les personnes handicapées sont donc de vrais œcuméniques?§
Tout à fait. Elles manifestent une plus grande ouverture à autrui. Comme elles dépendent entièrement de leur entourage - famille, éducateurs - qui les prend tous les jours en charge, elles connaissent le prix de la relation humaine. Elles savent bien que rien ne peut remplacer la relation avec autrui. Sur ce sujet, elles ont une longueur d'avance sur nous autres "normaux" qui avons tendance à imaginer que la bonne éducation consiste à devenir autonome, comme si l'on pouvait se passer des autres. Mais on dépend tous de quelqu'un. C'est la dimension profonde de la vie.
§Le handicap serait-il un bien?Ca dépend de ce que l'on entend par là. Dans un certain sens oui. Les personnes handicapées cherchent ce qu'il y a de plus vrai dans l'existence, en particulier la relation affective avec leur entourage. Elles manifestent aussi une très grande ouverture à la vie spirituelle qu'elles expriment par des chants, la joie, la prière, la lecture assidue de la Bible. Quand elles lisent une histoire de la Bible, elles s'y projettent complètement et vivent les épisodes de la vie de Jésus comme si cela leur arrivait à eux. Elles possèdent aussi une grande intuition. Je leur ai un jour demandé ce qu'était un démon. L'un d'eux, qui souffre d'épilepsie, m'a répondu: "Un démon, c'est ce qui démonte". On ne peut pas mieux dire.
Cela étant, il ne faudrait pas en conclure que les personnes handicapées sont privilégiées. Le handicap reste un mal, une souffrance dans le cœur d'un père et d'une mère. Mais en combattant ce mal, on arrive à accomplir quelque chose de beau.
§Quoi par exemple?Quand on prépare la confirmation, nous leur parlons de l'huile qui sert à oindre les catéchumènes catholiques. On leur montre les usages de l'huile dans la vie de tous les jours, dans la salade, les lampes, les parfums, les produits pour la peau. On relit ensemble les histoires de la Bible où l'huile apparaît, comme le Bon samaritain qui a été soigné avec de l'huile. Et on s'aperçoit que l'huile est à la fois lumière, onction, médicament, nourriture. On effectue tout un chemin qui nous restitue la signification du rite dans sa plénitude. C'est très beau.
§Vous devez aussi rivaliser d'idées pour leur proposer un matériel de catéchisme adapté?Oui. Chacune et chacun a son mode de communication privilégié, qui peut être le regard, les gestes, la parole, l'humour. Cela nous pousse à inventer un matériel personnalisé. On travaille souvent aussi avec l'audiovisuel puisque la plupart d'entre eux ne savent pas lire. Nous avons bataillé pendant dix ans auprès de la Société biblique suisse pour qu'elle publie le matériel vidéo nécessaire. On doit trouver mille moyens de lutter contre le handicap. Cela ouvre des voies extraordinaires et donne un sentiment d'appartenance à la même communauté, ce qui contribue également à transcender le clivage protestant-catholique.
§Les personnes handicapées mentales, dites-vous, extériorisent leur foi par des chants, des prières communes? N'est-ce pas le signe d'une maturité supérieure à la majorité des gens qui craint d'exprimer ses croyances?C'est surtout le signe d'une grande vérité. Pendant les heures de catéchisme, dès qu'ils ont un doute sur un mot, ils réclament une explication concrète. Ils veulent une clarté et une cohérence totale. L'un d'eux me disait qu'il ne voulait pas devenir l'ami de Jésus car il ne savait pas où Jésus habitait. C'est d'une logique désarmante. Mais une fois que je lui eus expliqué qu'on pouvait rencontrer Jésus en priant, allumant une bougie, ou en lisant la bible, il a été d'accord de devenir l'ami de Jésus. L'exigence de clarté des handicapés mentaux permet de capter le message biblique en esprit et en vérité, et de vivre en symbiose avec leur croyance.
§Comment appréhendent-elles la cérémonie de confirmation qui aura lieu le dimanche 28 mai ?Cela représente beaucoup. C'est leur fête d'adultes, car la plupart savent qu'ils n'auront probablement pas de fête de mariage. C'est pourquoi certaines jeunes filles arrivent en robe blanche, avec des fleurs dans les cheveux. Cela marque aussi un changement professionnel, la fin de la scolarité et l'entrée dans un poste en atelier protégé. Pour les familles, c'est un moment d'acceptation de leur enfant en tant qu'adulte. Il y a environ 300 personnes dans la chapelle, parmi lesquelles beaucoup d'anciens confirmés. Tous les ingrédients sont réunis pour une cérémonie incroyablement émouvante. On voit des jeunes qui prennent le pain et le vin deux fois, chez le prêtre et chez le pasteur, parce qu'ils se sentent bien avec l'un et l'autre. Je me souviens d'une ancienne confirmante qui était tellement pleine de ce qu'elle avait vécu qu'elle n'était pas allée travailler pendant deux jours.
§Et après, ceux qui ont fait le choix de la confirmation continuent-ils dans leur chemin de foi?Oui. Ils continuent d'aller à l'Eglise, prier, lire la Bible, chanter. Ils avancent dans leur vie spirituelle. La foi constituera toute leur vie un pôle privilégié, chose plus difficile pour d'autres jeunes qui sont confrontés à des sollicitations incessantes, culture, sport, formation, voyages, et qui zappent entre tous ces modes d'épanouissement possibles.
§Propos recueillis par Jacques-Olivier Pidoux/ProtestInfo