Formation pour les imams à Genève, deux étudiants diplômés
Former les imams? Les universités européennes et notamment françaises tâtonnent autour de cette tentative depuis des dizaines d’années. L’université de Genève a récemment relevé ce défi, sollicitée à la fois par le pouvoir politique local qui souhaite prévenir toute situation de radicalisation religieuse, et par la société civile, notamment les communautés musulmanes albanophones. En septembre 2017 est né le Certificate of advanced studies (CAS), officiellement intitulé: «Formation pour les imams et les enseignants d’instruction religieuse islamique». Les cours se déroulent sur deux semestres. Le premier est organisé autour de la maîtrise de la langue française et décodage socioculturel. Objectif: s’assurer d’un niveau de compréhension approfondi des participants et lever tous les malentendus, nombreux dans le domaine complexe de la théologie. «Laïque ne signifie pas du tout la même chose en turc et en français», explique ainsi Élisa Banfi, coordinatrice scientifique du programme.
Les enseignants choisis pour cette mission pas comme les autres ont des compétences pédagogiques pointues. «Ils font partie du centre de formation continue de l’université et sont habitués à travailler avec des adultes parlant des langues différentes. Certains ont une double compétence linguistique pour éviter les compréhensions faussées. Surtout, ils savent synthétiser un sujet vaste comme l’histoire suisse par exemple, pour un public donné.»
Sans validation de ce premier semestre, impossible de poursuivre la formation, qui aborde ensuite l’histoire, le droit, le dialogue interreligieux et interculturel, l’éthique et les théologies de l’islam. Le niveau est exigeant. Sur six étudiants à la rentrée 2017, seuls deux ont accédé au second semestre. «Il faut ce niveau de compréhension et de production en français pour progresser», justifie Élisa Banfi.
Pour les cours de théologie musulmane, évidemment les plus sensibles, le choix a été fait de ne pas créer de chaire dédiée, mais de solliciter différents spécialistes issus de toute l’Europe, tout à la fois excellents connaisseurs de l’islam et fins pédagogues. Il s’agit en effet, pour l’étudiant, de comprendre les approches scientifiques du religieux, le pluralisme des conceptions de l’islam, d’analyser quelques débats théologiques contemporains et les articulations entre théologies, droits et cultures. Élisa Banfi explique: «Nous recherchons encore les bons profils. Nous voulons constituer un pool de professeurs à l’avant-garde qui arrivent à parler avec les musulmans, entendre leurs difficultés». Selon elle, au cours de cette première année, deux tiers des professeurs de théologie «ont fait un travail remarquable» et un tiers a été «moins performant», même si tous ont réussi à échanger avec leurs élèves «dans le respect». Le casting de ces enseignants a été très difficile. «Nous avons évidemment analysé leur C.V., leurs publications, leurs parcours et leurs réseaux. Nous avons fait un très gros travail de tri, notamment par des entretiens», assure-t-elle.
La plupart des imams participants, eux, ont été formés dans des instituts communautaires. L’université leur a appris à analyser leur tradition religieuse avec des outils académiques. Élisa Banfi, qui a assisté à de nombreux cours, juge cette première expérience positive. «Les participants ont été ébahis de découvrir la quantité de savoirs non théologiques sur l’islam. Ils ont également appris à débattre sur la base de bibliographies, de sources.» Bref, à aborder des discussions souvent très émotionnelles avec rigueur et rationalité. Parmi les thèmes discutés de manière «franche et passionnée»: l’interprétation du Coran, la notion de «djihad», le respect des athées, ou un sujet spécifique à la Suisse, le suicide assisté. La tradition protestante, et toute la recherche autour du protestantisme fut une découverte importante, tout comme le fait d’avoir affaire à des universitaires qui concilient foi et recherche académique s’est avéré rassurant.
Devenir acteur et non victimeApprendre à faire preuve d’esprit critique est une chose, pouvoir ensuite en user au quotidien avec une communauté qui ne partage pas ces outils en est une autre. «Nous leur avons donné un endroit pour débattre en sérénité. Mais nous sommes conscients que, dans leur espace social ou communautaire, les imams sont souvent pris dans des tensions apologétiques. Mais l’essentiel est qu’ils aient compris que ces questions éthiques importantes, parfois embêtantes, doivent être posées. On ne réalise pas toujours combien le monde dans lequel on vit est en réalité d’une grande complexité, combien la société suisse est sophistiquée. Face à cela, les imams doivent pouvoir se positionner comme des acteurs, et non des victimes.»
L’université planche déjà sur la session suivante, avec l’objectif de l’ouvrir davantage aux femmes, à d’autres communautés, notamment afghane, et, à la suite de demandes des étudiants, et en dépit des budgets serrés, d’étoffer encore les cours.