Une hostilité croissante envers les minorités religieuses en Europe
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, Paris, RNS/Protestinter
Il y a dix ans, l'Autriche était un des pays européens où les musulmans pouvaient vivre en paix. L'islam y est une religion reconnue depuis 1912. La population semblait tolérante et le gouvernement entretenait un dialogue constructif avec les responsables de la communauté. Aujourd'hui, le gouvernement compte un parti d'extrême-droite opposé aux musulmans et aux migrants. Certaines mosquées ont récemment été fermées pour des raisons de sécurité et plusieurs politiciens pensent qu’il faudrait interdire aux musulmans de jeûner à l'école pendant le ramadan.
Les temps deviennent de plus en plus difficiles pour les membres de religions minoritaires à travers l'Europe. Le nationalisme et les mouvements anti-immigrants gagnent du terrain. Les tendances qui se développent depuis le 11 septembre se sont accélérées ces dernières années, frappant surtout les musulmans et les juifs.
Carla Amina Baghajati, administratrice dans une école musulmane à Vienne, semble nostalgique en évoquant un passé pas si lointain. «Même dans la petite Autriche, les tendances mondiales nous ont frappés», explique-t-elle. «Les bons jours sont révolus depuis longtemps», regrette-t-elle. «Si vous êtes visiblement musulmane dans la rue, par exemple en portant un foulard, on vous regarde différemment maintenant. Tout le monde trouve que les choses ne sont plus comme avant».
Insultes et discriminationLes insultes et la discrimination sont monnaie courante. Et les jeunes musulmans ne les signalent même plus. «Ils disent: 'A quoi bon?'», raconte Carla Amina Baghajati. Le centre de recherches Pew, basé à Washington, a publié fin juin un rapport sur la liberté de religion dans le monde. Il constate que l'Europe montre la plus grande hausse d’«hostilités sociales liées à la religion» en 2016, dernière année pour laquelle le centre a des statistiques complètes.
En 2016, environ un tiers des pays européens avaient des partis politiques ouvertement hostiles envers les minorités religieuses, contre un cinquième en 2015, relève l'étude. Le nombre de groupes activistes harcelant les minorités est également en hausse. «La majorité des groupes sociaux affichant ce genre d'activités nationalistes ou anti-immigrés - 25 sur 32 - se trouvent dans des états européens», montre l'étude. Le harcèlement vise principalement les musulmans et les juifs, même si d'autres croyances - y compris certains groupes chrétiens par endroits - subissent aussi de la discrimination.
Ce rapport sur la liberté religieuse fait suite à une autre étude de Pew, publiée en mai, qui montre qu'environ la moitié des chrétiens sur le continent - pratiquants et non-pratiquants - pense que l'islam n'est pas compatible avec les valeurs européennes. Ces enquêtes ne donnent qu'une image partielle l’évolution de la situation. Des problèmes majeurs comme la crise migratoire actuelle et les attaques contre les minorités font la une des journaux dans le monde, mais les hostilités moins importantes échappent au radar des médias.
La vague migratoire actuelle, qui a atteint son apogée en 2015 avec plus d'un million d'arrivants - pour la plupart des musulmans -, a conduit à des restrictions d'accès à l'Europe et a rendu les termes «migrant» et «musulman» synonymes pour de nombreux Européens.
Les responsables religieux évincésCarla Amina Baghajati, qui s’occupe de la place des femmes pour la plus grande association islamique en Autriche, explique qu'auparavant, le gouvernement invitait souvent les responsables musulmans à participer aux débats sur les questions religieuses. Sous le nouveau gouvernement du parti populaire conservateur (ÖVP) et du parti d'extrême-droite (FPÖ), les invitations ont cessé. «Ils invitent les alarmistes à parler, mais pas nous», regrette-t-elle.
Le parti ouvertement anti-immigrés FPÖ a lancé une campagne pour interdire le jeûne durant le ramadan dans toutes les écoles publiques. Les affiches montrent une écolière voilée avec le slogan: «Pas de nourriture, pas de boisson, pas d'éducation.» Les enfants sont exemptés de jeûne, mais les adolescents sont censés suivre les règles du ramadan. D'après Carla Amina Baghajati, le gouvernement estime que «l'islam est un bloc, statique et dangereux. Le partenariat est rompu».
Des problèmes similaires se trouvent également dans le reste de l'Europe. La France est l’un des pays les plus stricts, avec une loi contre le port du foulard dans les écoles publiques et les voiles intégraux en public. Les stations balnéaires et les piscines municipales ont essayé d’utiliser la loi française sur la laïcité pour interdire le port du «burkini» - ce maillot de bain recouvrant tout le corps - en affirmant que c'est un signe d'appartenance religieuse, interdit sur les plages et dans les piscines publiques. Cet argument a été plus ou moins appliqué.
Interdiction du voileEn juin dernier, le parlement hollandais a interdit les voiles couvrant le visage, de même que le Danemark en mai. La Belgique l'a fait en 2011. Construire des mosquées, autoriser les minarets, permettre des temps de prière au travail et enseigner l'islam au même titre que les autres religions dans les écoles publiques sont également des sujets controversés en Europe.
En Italie, le ministre de l'Intérieur Matteo Salvini a écrit sur sa page Twitter «Les Italiens d'abord». Et le nouveau gouvernement populiste italien a fermé les ports aux bateaux qui les migrants en Méditerranée. Il a proposé de faire un recensement des Roms ou «gitans» dans le pays et de déporter ceux qui ne sont pas citoyens italiens. Lors d’une manifestation à Florence, Matteo Salvini a affirmé qu'il s'opposait à ce que les musulmans reçoivent des permis pour construire de nouveaux lieux de culte. «Il est urgent de créer des emplois, pas des mosquées», a-t-il précisé.
En Allemagne, le parti conservateur de l'Union chrétienne sociale (CSU) dans la Bavière traditionnellement catholique, menace de renverser le gouvernement de coalition de la chancelière Angela Merkel - leur principale alliée dans la politique nationale - si elle ne n’acceptait pas un contrôle plus strict des frontières.
Effondrement de la politique européenne«La politique européenne est devenue déséquilibrée. Les courants dominants s’effondrent de toutes parts, tant ceux du centre-gauche que ceux du centre-droite», explique le Britannique Paul Taylor, analyste en affaires européennes et rédacteur pour l'hebdomadaire Politico Europe, basé à Bruxelles. «Presque partout, la droite est dépassée par l'extrême-droite et se fait entrainer dans cette direction», constate-t-il.
En Europe de l'Est, les gouvernements nationalistes ont simplement refusé d'accueillir des migrants, en dépit des lignes directrices de l'Union européenne appelant à leur répartition entre tous les membres de l'UE. La Pologne et la Hongrie, à la tête de ce mouvement anti-migrants, ont maintes fois déclaré qu'elles défendaient les traditions chrétiennes de leurs pays contre les étrangers. Et bien qu’il ne reste presque plus de juifs dans ces régions après l'Holocauste et l'ère communiste, la rhétorique populiste recourt à l’antisémitisme pour rallier le soutien.
«Nous entendons des choses que nous n'avions plus entendues depuis 1968, telles que: 'Il n'y a pas de place pour vous en Pologne'», raconte le grand rabbin, Michael Schudrich, se référant à la vague d’antisémitisme de l'ère communiste. En février dernier, la Pologne a qualifié de crime le fait de rappeler que les Polonais avaient participé à l'Holocauste. Des critiques sévères des autres pays - y compris les États-Unis et Israël - ont incité les médias à faire valoir que la Pologne avait été attaquée par les juifs. Varsovie s'est rétractée le 27 juin, disant qu'elle supprimerait les pénalités criminelles de la loi.
Montée de l’antisémitismeEn Hongrie, le Premier ministre Viktor Orban a ouvertement calomnié le financier et philanthrope américain George Soros, né dans une famille juive à Budapest. Il l’a traité d’ennemi d'état parce qu'il promouvait la démocratie et les causes libérales, y compris l'immigration dans le pays. En France, où les musulmans sont plus nombreux que les juifs dans une proportion de 10 contre 1, plusieurs attaques violentes contre les juifs ont fait l'actualité internationale, ces dernières années. Il s’agissait notamment des meurtres d'un rabbin et de trois enfants dans une école juive à Toulouse en 2012 ainsi que de la prise d'otage de quatre personnes dans un supermarché casher à Paris en 2015.
Dès lors, des patrouilles policières et militaires placées dans les quartiers juifs ont permis de réduire les attaques de moitié, confirme Bernard Edinger, un journaliste juif français qui écrit pour des publications françaises et israéliennes. Ce que l'enquête de Pew n’analyse pas, ajoute-t-il, c’est la question délicate du harcèlement des juifs par des musulmans opposés à Israël et au sionisme. «En France, l'antisémitisme de style nazi n’existe presque plus», souligne-t-il.
La majorité de ce type de harcèlement survient dans des endroits comme les banlieues pauvres au nord de Paris où juifs et musulmans ont longtemps vécu côte à côte. Les juifs ont réagi en transférant leurs enfants dans des écoles juives ou en déménageant. «Entre 60’000 et 70’000 juifs vivaient dans ces quartiers avant l'année 2000. Il n'en reste plus que 10’000». Certains déménagent dans d'autres quartiers où ils se sentent plus en sécurité, d'autres partent en Israël.
Un sondage publié en Allemagne fin juin a dépeint une situation tout aussi compliquée. Il révèle que quelques vieux clichés subsistent chez certains Allemands, mais «ce n'est qu'une petite minorité qui déteste réellement les juifs. L’antisémitisme est en baisse depuis plusieurs décennies», rapporte le Frankfurter Allgemeine Zeitung.
Par contre, les élèves juifs racontent qu'ils sont harcelés à l'école, généralement par leurs camarades d'origine musulmane. D'autre part, en France, Marine Le Pen, qui a tenté d'adoucir l'image du Front national depuis qu'elle a pris le pouvoir en 2011 et principalement critiqué les musulmans, a remporté quatre fois plus de voies de la part des juifs l'année dernière que son père Jean-Marie, un négationniste convaincu, quand il s'est présenté à la présidence en 2002.
«Ils pensent que l'ennemi de mon ennemi est mon ami», constate Bernard Edinger, parlant des électeurs juifs. «Parmi les responsables du Front national, ce n'est pas casher d'être antisémite.»