L'Égypte combat l'extrémisme en autorisant les femmes à prêcher dans les mosquées
Photo: © RNS/Mohamed Salah
et Amr el Tohamy, Le Caire, RNS/Protestinter
Il y a quatre ans, le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi invitait les religieux musulmans à «améliorer l'image de l'islam face au monde». Par conséquent, les autorités religieuses islamiques permettent aux femmes musulmanes d’être mieux entendues. Ces trois derniers mois, les religieux ont annoncé que les femmes pouvaient désormais officier comme prédicatrices dans les mosquées et les écoles, participer aux conseils gouvernementaux et chanter dans des chorales consacrées à la musique liturgique.
«Ces mesures montrent que l'islam peut évoluer vers une ouverture aux autres religions», explique Wafaa Abdelsalam, une physicienne de 38 ans nommée par le Ministère des dotations religieuses pour prêcher deux fois par semaine dans deux importantes mosquées des banlieues du Caire. «Le public qui est venu écouter mes prêches sur le ramadan était principalement composé de femmes venant des classes moyennes et supérieures. Elles m’ont affirmé que jusqu’à notre rencontre, elles n'avaient personne à qui parler de la place de l'islam dans leurs vies.»
L’Égypte compte 90 millions de musulmans. Environ 70% des mosquées en Égypte ont des espaces de prière séparés pour les femmes, d'après le Ministère des dotations. Mais l'initiative d'instituer des femmes prédicatrices - wa'ezzat en arabe – permet pour la première fois aux femmes de s’adresser formellement aux fidèles dans ces endroits en tant que religieuses officiellement autorisées.
«L'éducation religieuse ici est une opportunité pour les femmes de pouvoir me poser des questions sur des sujets personnels, comme le mariage, ou de débattre des mérites ou des inconvénients du choix de porter le foulard», dit Wafaa Abdelsalam. Les wa'ezzat suivent les directrices du sermon établies par le Ministère des dotations, ajoute-t-elle.
Soutenues par l'Université Al-AzharCette initiative pour la promotion des femmes dans la sphère religieuse en Égypte est soutenue par l'Université Al-Azhar, le séminaire traditionnel de théologie sunnite. Ce projet est né du combat de l'Égypte contre l'extrémisme. Le président El-Sissi a exhorté les théologiens islamiques d'examiner les textes qui ont été utilisés pour justifier le terrorisme.
Le Ministère des dotations, qui distribue des bourses financières religieuses et qui nomme les religieux dans plus de 110'000 mosquées, est précurseur dans la répression de l'extrémisme. Le mois dernier, il a décidé d'interdire aux hommes qui prêchaient sans licence de donner des homélies dans plus de 20'000 mosquées de rue connues sous le nom de zawiya.
Les prédicateurs des zawiyas sont suspectés de propager des idées fondamentalistes, dans le but de promouvoir des croyances extrémistes. «Nous ne pouvons pas confier l'éducation des femmes musulmanes à des non-spécialistes», insiste Youmna Nasser, une prédicatrice récemment nommée par le gouvernement.
Le Ministère des dotations a formé environ 300 prédicatrices pour parler en public et interpréter le Coran ainsi que d’autres textes musulmans. Il prévoit également de nommer le mois prochain deux femmes aux conseils d’administration de chaque mosquée, dans le but d'attirer encore plus l'attention sur les questions liées aux femmes, aux enfants et à la famille.
Affirmer les droits des femmes«Les mesures que nous prenons aujourd'hui pour affirmer les droits des femmes sont basées sur des principes reconnus dans l'islam, mais qui ont été négligés avec le temps», explique Abdul Ghani Hindi, membre du Conseil suprême pour les Affaires islamiques. D'après lui, les autorités sont en train de former encore 2'000 prédicatrices.
«Le véritable islam renforce le statut des femmes, c'est pourquoi nous avons établi des formations pour les prédicatrices. Et nous tentons d'en apprendre encore plus sur les perceptions des femmes par rapport à la direction des mosquées», ajoute Abdul Ghani Hindi.
Un autre changement important dans l'expansion des voix féminines a lieu à l'Université Al-Azhar, qui a dépassé son rôle original de séminaire islamique pour proposer une éducation générale dans des domaines comme la médecine et l'ingénierie à plus de 45'000 étudiants au Caire et dans sept autres campus.
Une chorale mixteAllant à l'encontre des fatwas conservatrices qui interdisent aux hommes d’écouter les femmes chanter, les directeurs d'Al-Azhar ont créé une chorale mixte qui interprète des hymnes musulmans sur le campus et à l'extérieur. «Mon père avait peur de l’opinion des gens à mon sujet. Il craignait que les voisins croient que je me sois éloignée des traditions islamiques», explique Umniah Kamal, 21 ans, diplômée en économie et membre de la chorale à Al-Azhar. «Mais ma mère m'a encouragée à rejoindre la chorale et a même proposé certains des chants religieux que nous interprétons».
Les responsables universitaires insistent sur le fait que l’inclusion de jeunes femmes dans la chorale rend l'islam plus pertinent pour la nouvelle génération. «Ceux qui disent que la chorale réduit l'image pieuse d'Al-Azhar ont tort», souligne Ibitsam Zaidan, directeur artistique de l'université. «Nous utilisons les arts du spectacle pour promouvoir Al-Azhar comme un flambeau de vie et d'éducation islamiques».
«Il n'existe aucun texte dans le Coran qui interdit de chanter ces hymnes. Les jeunes femmes sont habillées de manière conservatrice, portent le foulard et se tiennent séparément des jeunes hommes lors des représentations». Même si la chorale d'Al-Azhar a remporté le second prix dans une compétition en avril, organisée par le Ministère de la jeunesse et des sports en Égypte, les performances mixtes et les nominations des femmes dans des rôles de leadership dans les mosquées ont engendré des critiques dans les milieux traditionalistes.
Les traditionalistes furieux«Nommer des femmes en tant que représentantes publiques dans les conseils directoriaux des mosquées, les encourager à déclarer des fatwas et la création outrancière de cette équipe musicale mixte à Al-Azhar sont des initiatives importées d’Occident», déplore Sameh Abdul Hamid, prédicateur cairote du mouvement salafiste, une branche strictement traditionaliste de l'islam sunnite.
«Cela fait partie de l'effort des gouvernements arabes d’effacer notre identité musulmane. C'est irrespectueux dans notre croyance que de renforcer le statut des femmes. Il faut sauvegarder leur place à la maison», ajoute Sameh Abdul Hamid. Les responsables gouvernementaux insistent sur l’amélioration de la visibilité. Les formations ciblées pour les femmes dans les mosquées égyptiennes ne sont pas une question d'égalité des sexes, mais plutôt une éducation et une sensibilisation pour le renforcement des traditions.
«Les femmes dans les conseils deviendront un lien entre les femmes croyantes et l'administration de la mosquée. On met beaucoup plus l'accent sur des questions liées à la famille qui n'étaient pas souvent abordées auparavant», affirme Shaikh Jaber Taya, porte-parole pour le Ministère des dotations.