L’Europe est moins sécularisée qu’on ne le pense
Photo: La cathédrale Notre-Dame de Paris CC (by-sa) Pezi
, Paris, RNS/Protestinter
Avec un taux décroissant de présence aux offices religieux et un nombre croissant d’églises qui se ferment ou sont vendues, l’Europe occidentale semble devenir la région du monde où l’avenir de la foi est le plus sombre. Le pape François a récemment déploré cette tendance comparant la société occidentale à «un voyage qui se termine en naufrage où les rescapés tentent de se construire un radeau».
Une nouvelle étude du Centre de recherches Pew va plus loin que les grands titres qui dérangent les Églises établies, cherchant à savoir ce que pensent les Européens occidentaux de la religion. Les résultats publiés le 29 mai suggèrent une image plus nuancée. Malgré la sécularisation qui s’étend dans la région, 71% des 24'599 adultes dans les 15 pays interrogés par Pew continuent à s’identifier comme chrétiens. Par contre, seulement 18% d’entre eux affirment fréquenter une Église au moins une fois par mois.
Totalisant 46% de l’échantillon, les chrétiens non-pratiquants composent le plus grand groupe de l’étude. Seulement 24% des sondés sont sans appartenance religieuse— athées, agnostiques et non-croyants—, alors qu’ils dominent les commentaires sur l’état du christianisme en Europe. Ces chrétiens non pratiquants ont leur propre mélange d’opinions religieuses et sociales. Elles peuvent avoir une influence sur la politique notamment, par exemple dans le débat grandissant sur l’immigration des musulmans en Europe.
Un repère important«L’identité chrétienne est un repère important en Europe occidentale, même pour ceux qui vont rarement à l’église. Ce n’est pas seulement une identité “nominale” dépourvue de signification pratique», précise l’étude. Alors que les recherches sur la religion en Europe montrent depuis longtemps ce grand groupe de chrétiens non-pratiquants, peu l’ont étudié en détail.
Les sondages en France font parfois la distinction entre les catholiques pratiquants et non-pratiquants parce que leurs opinions politiques peuvent varier, mais ces enquêtent ne s’intéressent pas en détail aux croyances des répondants. En Allemagne, la distinction se fait généralement entre les personnes inscrites dans une Église et celles qui ne le sont pas. Le système d’impôts ecclésiaux permet de faire cette comparaison.
Paul Bickley est directeur du programme politique de Theos, un groupe de réflexion londonien qui étudie le rôle de la religion. Il explique que lors du recensement en Grande-Bretagne, la question sur la religion a simplement donné un aperçu du groupe qui avait coché la case «chrétien» sans fournir davantage de précision. Le recensement de 2001 avait montré, étonnamment, que 72% de personnes s’identifiaient comme chrétien, mais ce taux a baissé à 59% lors du recensement de 2011.
Paul Bickley est relativement d’accord avec les résultats de Pew, mais il souligne la perspective à plus long terme que montrent d’autres recherches en Grande-Bretagne. «C’est évident que l’identité et la pratique religieuses sont en déclin. Mais les personnes qui se définissent sans religion n’ont pas aucune croyance spirituelle. Ces chiffres sont beaucoup plus complexes en réalité».
Transmettre les traditionsDans l’enquête du Pew, environ la moitié des non-pratiquants ont dit croire en un pouvoir supérieur et un quart croit au Dieu tel que décrit dans la Bible. Quelque 87% d’entre eux élèvent leurs enfants comme chrétiens. Parmi les chrétiens pratiquants, deux tiers croient au Dieu de la Bible et 97% d’entre eux élèvent leurs enfants dans les traditions chrétiennes, d’après l’enquête de 168 pages.
Environ 62% des personnes non-pratiquantes reconnaissent que les Églises et organisations religieuses jouent un rôle important dans l’aide sociale, comparé à 78% chez les chrétiens pratiquants. Même chez les personnes sans appartenance, 48% d’entre elles estiment que les organisations religieuses sont utiles à la société.
Les chrétiens non-pratiquants se sont également rapprochés des fidèles par rapport à des questions sociales comme l’immigration et l’identité nationale. Des thématiques politiques qui sont devenues brûlantes face à l’augmentation de l’immigration musulmane au cours de dernières décennies. Environ la moitié de tous les chrétiens— 48% de non-pratiquants et 54% de pratiquants— affirment que leur culture est supérieure aux autres. Seul un quart des non-affiliés adhère à ce point de vue.
On retrouve des écarts similaires quand le sondage pose des questions liées à l’immigration. Environ 45% des non-pratiquants pensent que l’islam n’est pas compatible avec les valeurs européennes, contre 32% parmi les non-affiliés. Quelque 11% de sans appartenance n’accepteraient pas un musulman dans leur famille et 7% n’accueilleraient pas un juif. Parallèlement 30% de chrétiens non-pratiquants n’accepteraient pas un musulman et 19% rejetteraient un juif.
Une tendance contre l’immigration«Tant les chrétiens pratiquants que les non-pratiquants ont plus tendance que les autres adultes sans appartenance religieuse en Europe occidentale à exprimer des opinions contre l’immigration ou les minorités», révèle l’étude qui ne hasarde pas d’explications, mais cite le Français Olivier Roy, un expert de l’islam. Selon lui, le christianisme traditionnel «s’est effacé pour laisser la place à un repère culturel qui apparaît de plus en plus comme un repère néo-ethnique (les “vrais” Européens contre les “migrants”).»
La recherche met également en évidence que les catholiques ont souvent une perception plus négative que les protestants sur les musulmans. La géographie y joue certainement un rôle puisque l’Europe du Sud est beaucoup plus catholique et le Nord, plutôt protestant. Mais l’enquête a révélé que cette tendance générale domine également dans les pays comptant de grands groupes des deux dénominations, comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne.
L’étude souligne que ces résultats ne signifient pas non plus que la plupart des chrétiens s’opposent à l’immigration musulmane et précise que les Églises aident à l’intégration des réfugiés. «Il se pourrait que le fait d’avoir des points de vue anti-immigration amène une personne à adopter une identité religieuse dominante historiquement, plutôt que le fait de s’identifier à un groupe religieux dominant amène une personne à prendre des positions contre les minorités», rapporte l’étude.
Concernant les questions sociales, environ 4 chrétiens non-pratiquants sur 5 sont d’accord avec les 87% de sans appartenance qui soutiennent l’avortement et le mariage gay. Une majorité de fidèles approuve également, à raison de 52% et 58% respectivement.
Une Amérique très religieuseL’enquête relève des comparaisons intéressantes entre l’Europe occidentale et les États-Unis. Le nombre de personnes s’identifiant comme chrétien est environ le même (71% pour les Européens occidentaux et les Américains), de même que pour les personnes sans appartenance religieuse (plus ou moins 24%). Or les Américains auraient beaucoup plus tendance que les Européens occidentaux— 53% contre 11%— à affirmer que la religion joue un rôle important dans leurs vies.
Même les sans appartenance religieuse aux États-Unis considèrent la foi avec plus d’importance que leurs pairs de l’autre côté de l’Atlantique, au point où les sans appartenance américains paraissent plus religieux que les chrétiens de certains pays européens quand on leur pose des questions sur la foi en Dieu, la prière et la fréquentation d’église.
La proportion des sans appartenance varie nettement à travers l’Europe de l’Ouest, allant du taux élevé de 48% de la population adulte aux Pays-Bas au taux beaucoup plus bas de 15% en Irlande, en Italie ou au Portugal. Cette enquête a été réalisée entre avril et août 2017.