«La spécificité HES réside dans son double ancrage académique et professionnel»
Photo: Jean Decorvet, recteur de la HET-PRO ©HET-PRO
David Hamidovic le doyen de la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (FTSR) a annoncé devant le Synode de l’Église réformée du canton de Vaud qu’une collaboration avec la HET-PRO ne serait pas possible. Interrogé par Protestinfo, il s’en est expliqué. Comment accueillez-vous cette nouvelle?
Avec un certain étonnement. Ce n’est pas le principe d’une non-entrée en matière qui m’étonne, car cela est la prérogative des facultés de théologie, du moins tant que l’accréditation fédérale ne nous est pas octroyée. En revanche, la façon dont la HET-PRO est dépeinte révèle une méconnaissance réellement surprenante du dossier. Sans vouloir relever l’ensemble des approximations ou caricatures commodes qui parsèment le texte de M. Hamidovic, il est essentiel de rappeler ce qu’est cette Haute École de théologie. La HET-PRO entend offrir des formations qui conjuguent spiritualité vivante, excellence académique, compétences pratiques et dynamique missionnelle (NDLR Trop connoté, le terme missionnaire tend à être abandonné. Il s’agit de l’engagement du croyant à partager sa foi.) La perspective est donc clairement professionnalisante en ce sens qu’elle veille dès la conception des programmes de formation à la «transférabilité» dans la pratique des connaissances et compétences visées. Comme cela est demandé de tout HES, la HET-PRO veille à diffuser sa «culture professionnalisante» dans l’ensemble de ses activités académiques.
Cette «culture HES» aurait pu être expliquée au doyen Hamidovic si les perches que nous avons tendues n’avaient pas été refusées, si le dialogue que nous souhaitons pouvait être esquissé. Ce n’est donc pas sans étonnement que je lis des propos, souvent approximatifs, parfois malveillants, basés sur un refus du dialogue et la non-connaissance de notre positionnement HES. J’avais espéré — et j’espère toujours — qu’une relation plus apaisée soit trouvée où le rejet a priori de l’autre fasse place à l’échange, voire au débat constructif.
Le doyen de la FTSR met en particulier en avant le fait que les conditions d’accès aux cursus de la HET-PRO ne sont pas conformes aux standards des universités suisses. Cet argument vous fait particulièrement réagir. Pourquoi?
David Hamidovic semble oublier que nous nous positionnons sur le créneau des hautes écoles spécialisées et non des universités. Nos documents internes et nos différentes prises de position sont pourtant suffisamment clairs sur ce point. À cet égard, les conditions d’accès aux cursus de la HET-PRO s’alignent sur les standards d’autres HES qui, effectivement, sont différents des universités suisses. Il suffit de lire la «Loi sur l’encouragement et la coordination des hautes écoles» (LEHE) pour s’en rendre compte. Le document «Horizon 2014», cosigné par l’UNIL, l’EPFL et la HES-SO précise même que «Les hautes écoles universitaires et spécialisées donnent des diplômes de même niveau. Toutefois, leur approche est différente tant dans la manière d’enseigner que dans celle de la façon d’étudier.» C’est cette complémentarité que nous entendons mettre en avant.
David Hamidovic pointe également le fait que seuls trois des douze enseignants de la HET-PRO sont titulaires d’un doctorat en théologie ou discipline connexe. Est-ce conforme aux standards HES?
À ma connaissance: oui! Nous avons d’ailleurs été conseillés sur ce point. La spécificité HES réside précisément dans son double ancrage académique et professionnel. Les enseignants sont engagés non seulement sur la base d’une garantie de rigueur académique, mais également en fonction leur expérience professionnelle. Trois sont docteurs en théologie, un autre l’est en sciences économiques, un autre en médecine vétérinaire; trois sont doctorants en théologie et tous ont un solide bagage de pratique pastorale, missionnaire, diaconale, ou autre. Certains possèdent même des formations aussi bien dans le domaine de la théologie que dans le management. Nous nous positionnons donc pleinement dans le créneau d’institutions de type HES qui exigent de leurs enseignants et enseignantes qu’ils ou elles soient au bénéfice d’une expérience professionnelle de plusieurs années dans le champ professionnel de leur spécialisation.
Dans le cadre de la formation théologique, cette exigence me paraît saine, car elle favorise une théologie incarnée qui reste au contact de la complexité des divers contextes ecclésiaux. Comme les enseignants viennent d’arrière-plans culturels et ecclésiaux divers, le développement de dialogues interdénominationnels, interprofessionnels et interdisciplinaires devient ainsi possible.
À côté de l’enseignement, HES et hautes écoles universitaires (HEU) se doivent aussi de mener à bien des programmes de recherches. Quelles sont ceux de la HET-PRO?
Comme les domaines d’activité de la HET-PRO sont liés aux métiers de l’Église, au sens large du terme, nous sommes particulièrement sensibles à l’intégration des dimensions intellectuelle, spirituelle et fraternelle. En cela, chaque chaire doit pouvoir questionner l’articulation entre connaissances fondamentales, action concrète sur le terrain et spiritualité communautaire. Très concrètement, et de manière non exhaustive, des recherches en théologie appliquée sont menées sur des sujets tels que: l’éthique du travail et entrepreneuriat social; le renouveau de la conception et de la pratique de la mission et de l’évangélisation dans des sociétés en mutation; penser et proposer une formation biblique interculturelle qui soit adaptée à la culture d’origine et pertinente dans la culture d’accueil; de l’exégèse à la prédication: donner des outils exégétiques et herméneutiques permettant aux ministres de demain de développer une réflexion biblique, pratique et équilibrée face aux défis à venir; ou recompositions de l’identité protestante confessante et évangélique en postmodernité.
Dans le fond qu’attendez-vous d’une collaboration avec les universités? Les défenseurs de la HET-PRO justifient la nécessité de ce nouvel acteur par le côté très desséchant de la théologie académique. Ne sommes-nous pas face à deux visions irréconciliables de la formation théologique?
L’ensemble du corps professoral est passé par la voie universitaire et en a retiré énormément d’éléments positifs, à commencer par moi. C’est précisément pour cela que plusieurs, dont moi, sommes allés jusqu’au doctorat. Soyons clairs: nul ne prétend vouloir torpiller la formation universitaire classique. On nous a reproché l’accent professionnalisant, mais tel est le propre des formations HES! On nous a reproché notre identité confessante, mais nous ne sommes pas les seuls dans ce cas, ni en Suisse, ni en Europe, ni dans le monde. Certes, notre ADN interdénominationnel et professionnalisant rend notre approche différente d’une université classique tant dans la manière d’enseigner que dans celle de la façon d’étudier, mais c’est précisément pour cette raison que des collaborations intelligentes devraient pouvoir être mises sur pied.
Le monde universitaire est davantage porté sur la recherche fondamentale alors qu’une institution de type HES approche son objet d’étude en lien avec la pratique. Cette complémentarité pourrait être exploitée. Le cursus de la HET-PRO laisse une place à des cours à option. Pourquoi ne pas en suivre certains à l’université? Nous sommes pleinement ouverts à cette possibilité. L’inverse pourrait aussi être envisagé. En outre, la plupart des Églises manquent de relève. Je trouverais plus constructif que les différentes composantes du corps du Christ apprennent à se parler dès leur formation. Se regarder en chiens de faïence n’aide pas la relève à collaborer, s’apprécier et prier ensemble… par-delà telle ou telle différence de fond et de forme.
Même dans le domaine des sciences bibliques des collaborations sont-elles possibles? Vous êtes pourtant très sévères vis-à-vis de la démarche historico-critique.
Le monde de la théologie n’est pas binaire, avec une historico-critique académique et monolithique d’un côté et tous les autres, un peu bébêtes, de l’autre. Il y a une vraie pluralité, y compris en épistémologie au sein de l’approche historico-critique. Cette pluralité est particulièrement frappante dans le monde anglo-saxon et ce jusque dans les lieux de formation de l’Église anglicane. Pour ce qui concerne la HET-PRO, nous sommes pour une articulation de toutes les connaissances disponibles (en sciences et en sciences humaines) à la lumière vive du Christ. «Pour» donc une pensée critique. Et critique de la critique.
Si chacun est favorable au débat critique et respectueux, des collaborations devraient être possibles. Un de nos professeurs est d’ailleurs «lecteur» dans le Département d’études bibliques à la Faculté de théologie catholique de Fribourg sans que cela ne pose problème. Nous organisons bientôt un colloque avec des universitaires en provenance de Suisse (Université de Fribourg, Faculté de théologie de Lugano), de France (EPHE, Université de Strasbourg, CNRS), et de Malte. Nous avons récemment eu le privilège de recevoir pour une conférence un professeur émérite des universités de Manchester et St-Andrews. Pourquoi ce qui est possible ailleurs en Suisse et en Europe serait-il a priori impossible avec la Faculté de théologie de L’Université de Lausanne?
Les facultés de théologie accueillent des étudiants et chercheurs de diverses religions croyants ou non. L’adhésion nécessaire à certaines valeurs pour étudier à la HET-PRO ne met-elle pas à mal la liberté de la recherche?
Toute personne désireuse de venir étudier à la HET-PRO est la bienvenue. Il n’a jamais été question de couperet préalable actionné sur la base de telle ou telle croyance. Nous demandons simplement que les conditions d’admission soient remplies. Ces conditions suivent les recommandations des HES: niveau de culture générale prérequis (maturité gymnasiale, maturité professionnelle, maturité spécialisée…), stage professionnalisant préalable, aptitudes personnelles en adéquation avec le domaine choisi. Quant à nos valeurs, nous demandons qu’elles soient respectées pour faciliter l’exercice de la fraternité et la présentation bienveillante des différents visages de l’Église. Ce cadre étant posé, la liberté de recherche est pleinement garantie.
De manière générale, pourquoi vous imposez-vous de vous conformer aux standards HES. L’institut Emmaüs qui préexistait à la HET-PRO peinait-il à remplir ses bancs?
Comme toute institution centenaire, l’Institut Emmaüs a connu des hauts et des bas, mais la période précédant le lancement de la HET-PRO correspondait plutôt à une phase de développement. La métamorphose de l’Institut Emmaüs est donc bien le fruit d’une adhésion à un projet perçu comme porteur et source de renouveau pour l’ensemble du corps de Christ. En acceptant cette métamorphose, l’Institut intègre de jure des membres réformés dans tous les organes de décision et met à disposition de ses partenaires un bel écrin. Beau signe d’ouverture et beau cadeau, en vérité!
En termes de chiffres? Combien avez-vous d’étudiants? Combien d’entre eux sont en cursus Bachelor ou Master? Combien est-ce que cela fait d’étudiants en première année de Bachelor. Et à titre de comparaison, combien d’étudiants étudiant à l’Institut Emmaüs l’an passé?
L’ensemble de l’institution compte à ce jour 80 étudiants, dont 25 inscrits en 2017 sous le régime HET-PRO. C’est légèrement plus que l’année précédente.
Cela dit, il faudra attendre le lancement des masters et des CAS pour avoir une vue d’ensemble qui corresponde à la vision globale de notre École. Il est prévu que nous lancions les masters en 2019. Quant aux CAS, nous espérons pouvoir en proposer deux d’ici 2020. Ces derniers seront destinés à un bassin de population plus large que ceux du cursus en théologie appliquée.
L’évolution du nombre d’inscrits risque donc de progresser dans les trois prochaines années.
HET-PRO combine formation théologique et formation professionnelle des pasteurs. Le modèle des Églises réformées sépare la formation théologique qui est un prérequis que les candidats doivent acquérir au sein d’une université avant de pouvoir entamer une formation pastorale qui est dispensée par l’Office protestant de la formation. Avez-vous des contacts avec l’OPF?
À ce jour, nous n’avons pas noué de relation formelle. La non-entrée en matière de la Conférence des Églises réformées romandes (CER) n’a pas été sans conséquence sur les liens que nous espérions tisser avec divers acteurs réformés. Cela dit, je souhaite que ces contacts puissent être établis. C’est davantage le cas avec DM-Echange et Mission avec qui nous commençons à forger des partenariats.
Votre question ne doit toutefois pas faire oublier que diacres et pasteurs ne suivent pas un cursus identique. Si les pasteurs doivent passer par l’université, tel n’est pas forcément le cas des diacres dont le cursus peut se faire au Séminaire de culture théologique (Cèdres formation). Or Cèdres formation est rattaché à l’Église réformée vaudoise (EERV). On voit donc qu’il est possible de suivre une formation théologique auprès d’organismes ecclésiaux cantonaux et pas uniquement à l’université. Dans un tel contexte, et sans vouloir affaiblir la faculté de théologie ou Cèdres formation, il me paraît possible que des Églises réformées envisagent des collaborations avec une institution interdénominationnelle visant le niveau académique des HES. Ce n’est pas à moi de me prononcer sur la question, mais je soulève néanmoins ce point dans la mesure où la HET-PRO pourrait faire office de vivier pour la relève pastorale et diaconale.
Avez-vous des contacts avec d’autres instituts de formation? La faculté de Fribourg? Start-up ministries (ex Ibeto)?
Le spectre des contacts et même des collaborations est large. Il y a effectivement eu des contacts et même des partenariats avec le Centre d’étude «Glaube und Gesellschaft» de l’université de Fribourg. Comme indiqué précédemment, ces contacts s’étendent à de nombreux universitaires suisses et européens. Du côté protestant évangélique, nous sommes essentiellement en lien avec la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence) où je suis moi-même professeur associé, et la Faculté de théologie évangélique (Vaux-sur-Seine). En Suisse, nous avons également établi de contacts avec le centre de formation mennonite au Bienenberg et la Staatsunabhängige Theologische Hochschule de Bâle. À cette liste pourraient s’ajouter l’université BIOLA de Los Angeles et bien d’autres encore.