Les évangéliques américains vont probablement voter pour Roy Moore
Photo: Roy Moore © RNS/AP Photo/Brynn Anderson
Par Yonat Shimron (RNS/Protestinter)
Pour beaucoup, le soutien des évangéliques à Roy Moore est simplement une question de politique. Le candidat au Sénat américain, accusé d’avoir fait des avances sexuelles non désirées à neuf femmes alors qu’elles étaient adolescentes et qu’il avait dans la trentaine, est considéré par nombreux évangéliques – majoritairement républicains – comme l’un des leurs.
«C’est un homme de Dieu, tout simplement, qui souhaite que ce pays retrouve son bon sens par rapport aux libéraux et face à ceux qui défendent de mauvaises idées», a expliqué un partisan évangélique de Roy Moore à un journaliste présent à l’église baptiste de Walker springs road à Jackson, en Alabama. Or les experts politiques, les historiens et les théologiens estiment qu’il y a des raisons plus profondes qui expliquent pourquoi cet ancien juge semble être bien placé pour devenir le prochain sénateur de l’Alabama républicaine lors de l’élection spéciale du 12 décembre prochain.
Oui, les raisons sont essentiellement politiques, mais on constate également la manière particulière qu’ont les évangéliques de s’engager dans le monde qui les entoure. Selon Molly Worthen, une historienne de la religion américaine à l’Université de la Caroline du Nord à Chapel Hill, les chrétiens conservateurs ont développé une stratégie intellectuelle pour s’engager dans la société qu’on appelle le «présuppositionalisme». Ce concept signifie qu’ils examinent les suppositions présumées des autres avant d’en débattre. Si ces personnes n’adhèrent pas à la «bonne» vision du monde – c’est-à-dire celle qui considère que la Bible est la Parole infaillible de Dieu –, elles sont considérées comme indignes de confiance.
Combattre la laïcitéPour Molly Worthen, leur argument est le suivant: «Quand les libéraux laïcs disent que la place publique est un espace neutre, ouvert à toutes les croyances spirituelles, c’est un mensonge. Car on y retrouve un point de vue séculier et humaniste, c’est-à-dire des présuppositions anti-chrétiennes imposées. Vous, en tant qu’évangéliques conservateurs, devez combattre cela et rester attentifs quand ils essayeront de vous leurrer».
Molly Worthen attribue ce mode de pensée à Francis Shaeffer (1912-1984), un théologien évangélique très influent, particulièrement connu pour son opposition militante à l’avortement. Le Washington Post, qui a révélé les histoires de quatre femmes qui auraient eu des relations sexuelles avec Roy Moore quand elles étaient adolescentes, est profondément méprisé par un grand nombre d’évangéliques qui considèrent qu’il s’agit d’un média laïc avec un parti pris libéral.
Le président Donald Trump, dans son empressement d’étiqueter tout article défavorable à son administration et à sa prestation comme «fake news», s’est inconsciemment associé à cette longue tradition de résistance intellectuelle évangélique, a expliqué Molly Worthen. De leurs côtés, les évangéliques se méfiaient des médias bien avant que cela ne soit politiquement utile.
Une tradition de résistance«Cette tradition évangélique de résistance à un mode de pensée séculière fait partie inhérente de la culture de l’Alabama», a constaté Jason Roberts, professeur de sciences politiques à l’Université de la Caroline du Nord, à Chapel Hill. «Les habitants de l’Alabama sont très fiers d’être différents des autres», a ajouté Jason Roberts qui a grandi à Falkville, en Alabama. «Ils n’ont pas honte d’être différents. Ils ne craignent pas qu’on se moque d’eux. C’est pour cette raison que la volte-face des dirigeants politiques de Washington, comme celle du responsable de la majorité républicaine Mitch McConnell qui estime que Roy Moore devrait «s’écarter», est peu susceptible d’affecter la campagne.
Les évangéliques de l’Alabama admirent Roy Moore. Non seulement parce qu’il a refusé de faire enlever un monument des Dix Commandements du bâtiment judiciaire de l’Alabama à Montgomery où siège la Cour Suprême de l’Etat, mais surtout, parce que Roy Moore est un défenseur acharné d’une plus grande liberté religieuse pour les évangéliques. Il est vivement opposé à l’avortement et au mariage homosexuel. Il souhaite également privilégier le christianisme comme la religion prééminente du pays – des positions soutenues par les évangéliques conservateurs de tout le pays.
Cependant, de nombreuses critiques contre Roy Moore se font entendre: notamment Russell Moore (aucun lien de famille), l’éthicien responsable de la Convention baptiste du Sud; Ed Stetzer, le directeur général du Centre Billy Graham, au Collège Wheaton; et des femmes évangéliques bien connues comme Kay Warren, Beth Moore et Nancy French.
Toutefois, la plupart des électeurs évangéliques de l’Alabama soutiennent Moore. «Pour ces évangéliques, la politique a un but précis», a relevé John Fea, professeur d’histoire américaine au Collège Messiah. «Il s’agit de récupérer l’Amérique en tant que pays chrétien, de mettre fin à l’arrêt Roe vs. Wade qui a rendu l’avortement possible, de supprimer le mariage gay et de revenir à un âge d’or du christianisme».
Roy Moore n’est pas invincibleÇa ne veut, toutefois, pas dire que Roy Moore est invincible. Même dans l’Alabama, où la moitié des habitants se considèrent comme chrétiens évangéliques – le double de la moyenne nationale, selon une étude de Pew Research – Roy Moore a eu de la peine à conquérir les cœurs et les esprits lors des précédentes élections. En 2006 et en 2010, il a perdu les primaires républicaines dans la course pour devenir gouverneur de l’Alabama.
Il est possible que certains évangéliques changent leur allégeance républicaine de longue date et vote pour le démocrate Doug Jones, un éminent avocat qui a participé à plusieurs affaires de droits civils très médiatisées. Mais étant donné la position de Doug Jones sur l’avortement – il s’oppose à toutes restrictions sur l’avortement – il est peu probable qu’on vote pour lui. Au lieu de cela, certains évangéliques décideront d’ignorer les élections. Il n’y a pas d’autre sujet abordé lors de ce vote, ce sera donc plus facile pour certains de rester à la maison, a estimé Jason Roberts. Et les évangéliques qui iront aux urnes voteront sans doute pour Roy Moore.
«Quand les gens ont des choix vraiment difficiles à faire, c’est l’esprit partisan qui fait pencher la balance», a constaté John C. Green, professeur en sciences politiques et directeur de l’Institut Bliss de politiques appliquées à l’Université d’Akron. «Parfois, c’est juste instinctif, mais ils peuvent aussi réagir de façon réfléchie. Soit les gens diront: ‘Doug Jones est un meilleur candidat, mais il va partir à Washington et se joindre aux libéraux’, ou alors ils estimeront que, ‘Roy Moore est certes quelqu’un de faillible, mais qu’il est candidat républicain’. Leurs valeurs religieuses et leurs idées politiques sont très étroitement liées».