Après Daech, quel avenir pour les chrétiens de Syrie?
Photo: L'église Sainte-Marie à Damas CC (by-nc-nd) lionel.viroulaud
, reformes.ch
Le jeudi 28 septembre 2017, les députés syriens ont élu un nouveau président à la tête de leur Parlement. Hammoudé Sabbagh est un chrétien syriaque originaire de la province de Hassaké dans le nord-est du pays. Sa nomination sonne comme un gage de bonne volonté que le pouvoir en place – ou ce qu’il en reste – adresse aux communautés chrétiennes de Syrie. Partout dans le pays, le territoire contrôlé par Daech se réduit. Certaines communautés qui ont été déplacées ou qui ont pris le chemin de l’exil commenceraient à songer à leur retour.
En visite à Mossoul, juste après sa libération par les forces gouvernementales irakiennes, le patriarche chaldéen Mgr Louis Raphaël Sako s’étonne: «Des habitants ont remonté eux-mêmes une croix qui avait été mise par terre. Tous ceux que nous avons rencontrés nous ont demandé la même chose: quand les chrétiens vont-ils revenir?», affirme-t-il dans les colonnes du quotidien «La Croix».
Mais le recul de Daech ne suffit pas à rassurer la communauté chrétienne de Syrie qui représentait environ 5% de la population avant le début du conflit en 2011. L’historien et théologien Jean-François Colosimo est pessimiste: «Daech est l’arbre qui cache la forêt. Le véritable problème, c’est l’islamisation de la population. Les chrétiens d’Orient et a fortiori ceux de Syrie ne sont plus les bienvenus dans leur propre pays», analyse-t-il .
Un patchwork religieuxLes communautés chrétiennes de Syrie ont pourtant une très longue histoire. Le christianisme s’est très tôt implanté dans cette région du Proche-Orient. Ces chrétiens peuvent même se revendiquer comme apostoliques: les premières communautés sont apparues du temps même des apôtres. Avec nos lunettes occidentales, on les qualifie volontiers de «Chrétiens d’Orient», mais derrière cette appellation consensuelle et peut-être un brin paternaliste se trouve un patchwork multiconfessionnel riche et complexe.
La Syrie abrite pas moins de onze Eglises différentes, dont certaines sont rattachées à Rome ou Constantinople alors que d’autres non. La plus grande communauté chrétienne de Syrie est formée par les orthodoxes de rite byzantin suivis des Syriens orthodoxes et des catholiques de rite byzantin. Mais il faut aussi prendre en compte les Arméniens apostoliques ou catholiques, les Chaldéens catholiques, et encore une communauté maronite. Historiquement, cette diversité a souvent constitué un handicap lorsqu’il s’agit de faire valoir leur droit dans un pays majoritairement peuplé par des musulmans.
Cela n’a pas empêché de nombreux chrétiens de s’impliquer dans les mouvements nationalistes arabes qui ont fleuri au cours du XXe siècle. «Les chrétiens ont pesé dans le fonctionnement politique de la Syrie. Le parti Baas (le Parti socialiste de la résurrection arabe qui porte au pouvoir Saddam Hussein en Irak et le clan el-Assad en Syrie, ndlr) s’appuyait sur la laïcité et a été fondé par un chrétien, Michel Aflak», rappelle Jean-Claude Basset, théologien et secrétaire exécutif intérimaire de l’Action chrétienne en Orient. En Syrie, depuis 1970, le pouvoir est aux mains du clan el-Assad, issu d’une autre minorité religieuse musulmane, les alaouites. Le slogan martelé par le régime syrien bassiste a longtemps été: «Si on te demande si tu es chiite, sunnite, alaouite ou chrétien, réponds que tu es syrien!» Mais depuis une bonne génération, le monde arabe a changé de paradigme: «L’identité n’est plus l’arabité transconfessionnelle mais précisément l’appartenance à l’islam», écrit dans un récent rapport, Christian Bernard, responsable du pôle religions à l’Institut géopolitique et culture Jacques-Cartier.
Des chrétiens vulnérablesL’irruption de Daech, contrôlant un vaste territoire entre la Syrie et l’Irak, n’opère pas vraiment une rupture par rapport aux persécutions dont sont victimes les chrétiens. «On est plutôt dans une continuation poussée à l’extrême», analyse encore Jean-François Colosimo. Pour l’historien, leur éventuelle disparition constitue un drame irréparable: «Avec leur possible effacement, le Moyen-Orient perdrait la chance de la sécularisation. Ce sont les chrétiens qui en étaient les vecteurs. Le monde actuel est fait de blocs qui s’affrontent. Les chrétiens en Orient ont toujours joué le rôle de médiateur. Ils constituent le tiers indispensable.»
On comprend mieux dans ces circonstances pourquoi la plupart des communautés chrétiennes sont restées fidèles au pouvoir en place. «La guerre civile en Syrie a rendu les chrétiens encore plus vulnérables. Dans ce contexte, il ne faut pas s’étonner qu’ils soutiennent le régime de Damas, certes autoritaire, mais laïque. Les alaouites sont minoritaires, ils ont donc tout intérêt à nouer des alliances auprès d’autres communautés. Les chrétiens d’Orient ont opéré un choix rationnel, souvent mal compris en Europe», note Jean-Claude Basset qui a rencontré Bachar el-Assad en 2014 avec une délégation de chrétiens de Syrie et du Liban. Le sort des chrétiens semble donc lié à la survie du régime d’Assad. «Le soutien logistique et militaire de la Russie qui appuie le pouvoir en place pourrait constituer une garantie de sauvegarde pour les chrétiens locaux», écrit Christian Bernard.
Car au conflit confessionnel se juxtaposent d’autres lignes de front qu’il ne faut pas perdre de vue, conclut le pasteur et théologien suisse: «Ce serait une erreur de lire cette guerre civile uniquement en termes d’appartenance religieuse. Il ne s’agit pas d’une guerre de religion. Il y a un aspect ethnique: Kurdes contre Arabes; mais aussi géopolitique au niveau régional avec l’Iran contre l’Arabie saoudite; et au niveau international avec les engagements de la Russie, des Etats-Unis et de la France.»
L’Action Chrétienne en OrientEn Egypte, Syrie, au Liban mais aussi en Europe, l'Action Chrétienne en Orient (ACO) travaille au développement et au renforcement des communautés chrétiennes, ainsi qu’au défi que représente la cohabitation entre chrétiens et musulmans.
A sa création en 1922, l'ACO avait pour but de secourir les populations arméniennes victimes des exactions turques commises à leur encontre. Les temps ont changé, les cartes du monde ont été bouleversées. La collaboration a lieu aujourd’hui au sein de l’ACO Fellowship, un réseau d’Eglises du Moyen-Orient et d’organismes missionnaires européens. Chaque année, l'ACO publie un magazine consultable ligne.