Sur les chemins de Compostelle en fauteuil roulant

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Sur les chemins de Compostelle en fauteuil roulant

Emily McFarlan Miller
7 novembre 2017
Deux amis, dont l’un en fauteuil roulant, ont parcouru les 800 kilomètres du pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle
Ils racontent leurs expériences dans un livre et un documentaire.

Photo: Patrick Gray et Justin Skeesuck © RNS

(RNS/Protestinter)

Quand Justin Skeesuck s'est senti appelé à faire le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle, son ami de toujours, Patrick Grey, a immédiatement répondu: «Je vais te pousser». Justin Skeesuck, qui a une maladie neuromusculaire dégénérative utilise un fauteuil roulant. Mais même sur deux jambes, le pèlerinage n'est pas une randonnée facile.

L'itinéraire principal, le Camino Frances, serpente à travers environ 800 kilomètres de montagnes, forêts et champs dans le nord de l'Espagne. Il commence juste au-dessus des Pyrénées à St-Jean-Pied-de-Port en France et se termine à la Cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne. «Tout ce projet a changé l'avenir de nos vies pour toujours», raconte Patrick Gray.

Justin Skeesuck, qui vit à Eagle, en Idaho, avec sa femme et ses trois enfants, a ressenti l'appel après avoir regardé une émission télévisée sur le pèlerinage, au printemps 2012. Les chrétiens ont tracé, depuis le neuvième siècle, une route vers le site supposé de la sépulture de Saint-Jacques, l'un des apôtres de Jésus. Ces dernières années, ce parcours est devenu de plus en plus populaire auprès des gens de toutes confessions et même auprès de simples touristes.

Un appel du chemin

Bien que Justin Skeesuck et Patrick Gray aient grandi dans l'Eglise du Nazaréen, ce n’est pas leur foi qui les a motivés à faire le pèlerinage. «Je savais juste - du plus profond de mon être - que je devais le faire. Des gens m'ont dit que le chemin m'appelait, et je pense que cela a été le cas», se rappelle Justin Skeesuck. Les deux amis avaient prévu de partir en voyage ensemble, ce qu'ils n'avaient pas fait, tous les deux, depuis le lycée. Justin Skeesuck a donc montré le pèlerinage à Patrick Gray qui n'a pas eu la même réaction. «Le chemin ne m'a pas appelé, mais mon ami l'a fait. Je n’ai pas eu d’autres réponses que ‘faisons cela ensemble, je vais te pousser’», a-t-il expliqué.

«La première chose à résoudre était de réussir à prendre six semaines de congé», explique Patrick Gray qui travaillait dans les soins. Son patron n'était pas enthousiaste à le voir partir si longtemps jusqu'à ce qu'il lui explique son projet. Puis, son responsable lui a répondu qu’il devait filmer leur voyage: «ce serait égoïste de ne pas le faire, il y a trop d'espoir à partager». Ainsi Justin Skeesuck, qui est artiste, a pris contact avec un vieil ami du collège, Terry Parish, qui travaillait dans une agence vidéo.

Un défi physique et mental

Après une année d'entraînement physique, de mise en place logistique pour voyager avec un fauteuil roulant et avoir réuni une petite équipe de tournage, ils sont finalement partis. Ils ont été confrontés à de véritables défis physiques. Il y avait l'endurance, le fait de se lever tous les matins et d’avancer 20 kilomètres par jour, par tous les temps et sur tous les terrains, se remémore Justin Skeesuck.

Mais les challenges ont été également mentaux. A travers la Meseta, ce haut-plateau au centre de la péninsule ibérique, «vous êtes obligés de trouver la force d’avancer au fond de vous-même, car le paysage ne change pas pendant des jours», a souligné Patrick Gray. «Votre esprit commence à se tordre en vous de façon étrange. Il n'y a pas d'échappatoire. Il n'y a pas de distraction, donc toutes les pensées qu’on a dans la tête reviennent au premier plan. Peu importe ce qu’on fait, elles sont là».

Des prises de conscience existentielles

Cela a obligé Patrick Gray à prendre conscience que la personne qu'il était et celle qu'il espérait être n'étaient pas les mêmes. Tout comme il s’est rendu compte qu’il avait donné à sa famille des raisons de se demander à quel point il les appréciait vraiment. Il s'est donc excusé auprès de sa femme et de ses enfants en les appelant par Skype depuis l’Espagne. «Désormais, ils sont prioritaires dans toutes les décisions que je prends».

Justin Skeesuck a, quant à lui, restauré sa foi dans l'humanité. «Ce voyage et les gens que nous avons rencontrés m’ont fait prendre conscience qu'il y a tellement de bonnes personnes dans ce monde qui réalisent des choses incroyables. Je suis béni d'en être témoin et d'avoir des gens autour de moi qui m’aident». Faire le chemin permet de parcours «plusieurs chemins», selon Chris Karcher, qui a coréalisé le documentaire sur le voyage avec Terry Parish.

Un livre, un film, des rencontres

Il y a eu la préparation, puis le pèlerinage en lui-même, a souligné Chris Karcher. Et ce nouveau voyage qui a commencé depuis que Justin Skeesuck et Patrick Grey sont rentrés. Ils travaillent désormais ensemble. Les deux amis ont fondé Push Inc. et sont en train d’écrire un livre intitulé «Je vais te pousser: un voyage de 800 kilomètres, deux meilleurs amis et un fauteuil roulant» et participent à plusieurs événements.

Le documentaire, également intitulé «Je vais te pousser», a été projeté le jeudi 2 novembre dans les cinémas du pays. «Nous sommes très enthousiastes à l'idée de pouvoir partager ces deux dernières années de travail acharné», a souligné Justin Skeesuck. «C'est encore un autre voyage. C'est la fin d'un chapitre et le début d'un autre».