Le «sens au travail» au cœur d’un congrès de spécialistes en ressources humaines
Costards-cravates et barbes impeccables, talons aiguille et brushings sans extravagance: la foule qui se pressait mardi 12 septembre dans les bâtiments de l’Université de Lausanne n’avait rien à voir avec les traditionnels jeans-baskets habituellement rencontrés dans les couloirs. C’est que 580 professionnels des ressources humaines représentant des dizaines de PME, plusieurs multinationales, l’Etat ou la police et diverses fondations s’étaient réunis pour le huitième Congrès HR Sections Romandes. Cet événement qui a lieu tous les deux ans est un peu la sortie annuelle des RH de la région. On se retrouve, on se salue et autour d’un café, on cause recrutements, formations, licenciements…
Chaque année, un thème sert de fil rouge aux conférences et cette fois-ci, il a été question d’un enjeu fondamental: le sens au travail. Pour en parler, le comité organisateur dirigé par Maria Anna Di Marino, présidente d’honneur d’HR-Vaud, avait commandé quatre études aux Universités de Lausanne, Genève et Fribourg. Il s’agissait de mettre en lien la question du sens avec l’appartenance à une génération d’une part, le monde de la technologie d’autre part, d’évoquer les pratiques permettant d’améliorer la situation, mais aussi les indicateurs de perte de sens à repérer.
Le goût du travail n’a pas d’âgeD’abord, une trouvaille: la valeur que l’on accorde au travail ne dépend pas de notre appartenance à une génération. Ce qui compte, c’est le statut dans l’entreprise, soit le fait d’être par exemple cadre ou apprenti, selon l’étude réalisée par l’Université de Genève à l’occasion du congrès. Elle a aussi contredit certains clichés, comme le fait que travailler serait moins important pour les jeunes que pour leurs aînés. En réalité, c’est l’inverse: 67,6% des moins de 20 ans estiment que le travail est «très important, mais autant que d’autres choses», contre 63% des 20-35 ans, 60,8% des 35 à 50 ans et… 54% des plus de 50 ans. De manière plus globale, l’étude de l’Université a montré qu’il n’y avait pas de grandes divergences entre générations quand on parle de travail. «La Suisse n’a pas récemment connu de grandes ruptures ou de précarité matérielle. C’est ce qui explique une relative uniformité des réponses par rapport au travail, qui est central pour tout le monde», a expliqué le professeur Jean-Michel Bonvin, qui a supervisé l’étude.
Faire de la science une alliéeLa technologie pourrait-elle remettre en question ce lien profond, les robots pouvant exécuter toujours davantage de tâches assumées jusqu’aujourd’hui par des humains? «Nous sommes dans un double mouvement: la machinisation de l’humain et l’humanisation de la machine », a souligné Daniela Cerqui-Ducret, maître d’enseignement et de recherche en anthropologie (UNIL), dans un auditoire plein à craquer. Et de relever que certains parlent aujourd’hui d’améliorer les fonctions du corps humain «considéré comme un maillon faible» en le robotisant. D’autre part, rien ne garantit que des qualités comme l’empathie, caractéristique considérée jusqu’à aujourd’hui propre à l’humain et à l’animal, ne puissent être insufflées à des robots à figure humaine.
Pas de quoi se réjouir. Et pourtant, dans certains cas, le rôle des technologies est plus positif que l’on pourrait croire. C’est ce qu’a conclu le professeur Eric Davoine (UNIFR) qui présentait la recherche sur l’impact du digital. «Contrairement à ce qu’on pense, le recours aux machines ne nuit pas forcément aux relations humaines», affirme-t-il. Un exemple? Les employés de supermarché qui établissent des liens de meilleure qualité en aidant les clients à scanner leurs articles plutôt qu’en restant assis derrière une caisse. Eric Davoine notait par ailleurs que les mauvais côtés des technologies n’affectent pas que les employés. «Les managers aussi se sentent remis en question dans leur travail, par exemple dans le processus décisionnel», a-t-il souligné.
Invisible, mais essentielIl ne faut pas l’oublier, la question fondamentale du sens se pose à tous. Ce avec d’autant plus d’acuité que «le vieillissement de la population et les flux migratoires augmentent la pression sur le marché du travail», a souligné Koorosh Massoudi, maître d’enseignement et de recherche en psychologie (UNIL). Les progrès techniques ont permis d’alléger voire de supprimer la charge physique du travail dans le milieu des années 1990. Par ailleurs, le contexte économique est devenu instable et les emplois, précaires. Dans ce contexte volatile, ce sont les valeurs fondamentales qui servent de boussole à l’individu, a-t-il détaillé. «En 2008, le Bureau international du travail (BIT) a donné une définition du ‘travail décent’ qui s’appuie sur des éléments objectifs. Nous affirmons que cette définition devrait inclure la dimension subjective, tout aussi essentielle», a affirmé Koorosh Massoudi, venu présenter les résultats d’une recherche sur la perte de sens au travail. «Comme l’air, le sens brille par son invisibilité: bien qu’on ne le voie pas, on étouffe lorsqu’il vient à manquer», a-t-il achevé devant la salle comble.
L’importance du feedbackCe souffle, comment le redonner à qui l’a perdu? «Beaucoup de gens n’ont plus le sentiment d’être utiles parce qu’on ne leur dit plus quel est le sens de leur travail», a estimé Samuel Bendahan, maître d’enseignement et de recherche en management (UNIL) venu quant à lui présenter les conclusions d’une étude décortiquant les bonnes pratiques du leadership. «Un feedback régulier et professionnel est essentiel. C’est à la fois très facile et très efficace», a-t-il souligné. Les autres ingrédients de la potion magique ? Faire en sorte que l’employé occupe des tâches en accord avec ses valeurs, que le leadership soit cohérent entre les paroles et les actes et que le travail soit valorisé. Un vœu pieux? Non, un programme à mettre en place pour garantir la productivité des entreprises et le bien-être des gens: «L’avenir des organisations, c’est l’humain», a conclu Samuel Bendahan. Un message dont on espère qu’il aura été pleinement reçu par les 580 spécialistes des ressources humaines qui l’écoutaient.