National-conservatisme: «Dans les paroisses aussi, il existe des tabous»

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National-conservatisme: «Dans les paroisses aussi, il existe des tabous»

22 août 2017
Aux yeux des Eglises allemandes, une large part des idées du parti populiste AFD s’appuient sur une vision de l’être humain incompatible avec la foi chrétienne. De son côté et bien qu’il se présente comme le gardien de l’Occident chrétien, le parti de droite conservatrice s’oppose si fortement aux Eglises majoritaires que certains de ses hauts responsables ont déjà appelé ses adhérents à les quitter. Les positions semblent se durcir. Les deux côtés devraient cependant ouvrir le dialogue: c’est ce que demande Wolfgang Thielmann, pasteur et journaliste de longue date, qui a récemment publié un ouvrage sur le sujet. Entretien avec l’agence de presse protestante allemande EPD sur les possibles rapports entre les Eglises et l’AFD, ainsi que sur les raisons pour lesquelles certains chrétiens choisissent de voter pour un parti populiste.

Photo: CC(by-sa) Ziko van Dijk

Propos recueillis par Corinna Buschow, Berlin, EPD/Protestinter

Dans le passé, de hauts responsables de l’AFD se sont fortement attaqués à des membres et des positions des Eglises. Vous réclamez dans votre livre un dialogue plus nourri entre ces deux institutions. Pourquoi l’Eglise devrait-elle chercher à parler avec ce parti?

Je suis bien conscient que se confronter à l’AFD n’a rien de facile. Un document stratégique pose même noir sur blanc que le parti s’appuie davantage sur la provocation que sur les arguments. Et pourtant, c’est justement au sein de l’Eglise qu’on doit le plus rechercher un débat argumenté. Le point de départ de mon livre a été cette déclaration de l’archevêque de Cologne, Rainer Maria Woelki, selon laquelle nul être humain n’avait besoin de telles alternatives politiques. Ma réaction à ces paroles a été «Nous ne pouvons pas aborder les choses ainsi». Je ne peux pas condamner un parti en bloc; il me faut me donner la peine d’établir comment et pourquoi il transgresse les principes fondamentaux auxquels nous croyons en tant que chrétiens. Et dans le cadre d’un dialogue critique, je dois aussi me montrer prêt à remettre en question et à repenser ma position. J’approuve le fait que le Kirchentag ait organisé une confrontation avec l’AFD.

Elle consistait en un débat entre Markus Dröge, évêque de Berlin, et Anette Schultner, porte-parole des chrétiens de l’AFD. Mme Schultner et d’autres représentants de son parti ont après coup accusé les organisateurs du Kirchentag d’avoir procédé à une mise en scène pensée pour les faire paraître sous un mauvais jour. Avec leurs propositions de dialogue, les Eglises ne risquent-elles pas d’offrir à l’extrême droite une occasion de se présenter en victime?

Ce danger existe bel et bien, mais au final, je crois en la force des arguments. On peut ainsi tout au moins ébranler ceux qui pensent de manière totalement différente, et aller jusqu’à convaincre les indécis.

Quel pourrait être l’objectif d’une telle confrontation entre les Eglises et l’AFD? On ne peut guère imaginer de rapprochement de leurs positions, par exemple sur la question des réfugiés.

Lorsque quelqu’un aborde un débat bien décidé à s’en tenir à sa ligne, alors les arguments opposés pourront difficilement le convaincre. L’Eglise bénéficie d’un avantage: une organisation qui s’étend jusqu’au niveau des quartiers, et des membres qui jouissent de la confiance de leurs fidèles. Rien que de ce fait, le débat ne peut être que positif. La confiance permet d’entendre plus facilement les arguments de l’autre. D’ailleurs, cela s’applique aussi aux associations sportives et aux sapeurs-pompiers.

Cela signifie-t-il que les débats avec l’AFD ont surtout du sens au niveau de la base, c’est-à-dire des paroisses, et non sur la scène nationale comme entre le bureau confédéral du parti et l’Eglise protestante d’Allemagne ou la Conférence des évêques catholiques allemands?

Le dialogue doit se faire à tous les niveaux. Néanmoins, il y a un énorme retard à combler en ce qui concerne les exécutifs des paroisses, leurs assemblées générales ou les conseils presbytéraux. J’ai été effaré par l’exemple de la ville de Wuppertal, où l’ensemble du conseil presbytéral a donné sa démission pour faire perdre son poste à l’un de ses membres, qui s’était récemment présenté aux élections législatives régionales sous les couleurs de l’AFD. Pour ma part, je suis convaincu qu’une manœuvre aussi clairement calculée ne peut représenter l’ultime recours.

Comment expliquer le fort succès de l’AFD, notamment dans les milieux les plus conservateurs des Eglises?

Cela tient à la structure des Eglises majoritaires, qui représentent la population dans toute sa diversité. De ce fait, on peut supposer que le soutien à l’AFD y est aussi répandu que dans l’ensemble du pays. Cela dit, au sein de certains groupes, il existe aussi une plus grande proximité — par exemple dans les milieux catholiques de droite, engagés contre l’avortement et pour le mariage traditionnel. Ce sont là des points de contact avec les idées de l’AFD. Il en va de même pour les protestants les plus conservateurs: quelques évangéliques sont prêts à rejoindre les rangs de l’extrême droite.

Comment jugez-vous le dialogue entre ces fidèles et les institutions de l’Eglise?

Il est important que l’Eglise protestante, sur laquelle je me concentre tout particulièrement, s’occupe de ses fidèles à tendance conservatrice. En échangeant avec ces milieux, j’ai maintes fois entendu qu’on s’y sentait très peu représenté, voire totalement délaissé par les institutions religieuses. Je l’ai personnellement constaté, par exemple en ce qui concernait l’aide aux réfugiés ou les initiatives locales pour le dialogue interreligieux. Certains jugent que c’est la bonne attitude à avoir. D’autres ont un regard plus critique, mais ne s’expriment pas sur le sujet, car à leurs yeux, ce sont «des choses qui ne se disent pas». L’Eglise doit saisir l’occasion d’entamer un dialogue avec ce type de fidèles. Pour le moment, seule l’AFD peut lui permettre de s’emparer de ce thème.

Vous voulez dire qu’il règne dans les paroisses une sorte de «politiquement correct» qui conduit de nombreux fidèles à ne plus oser s’exprimer librement?

Même dans les paroisses, il existe des tabous. Certains peuvent croire qu’il serait mal vu de se dire opposé à une position adoptée par son Eglise régionale ou son conseil de fabrique. On oublie trop souvent de convaincre les gens du bien-fondé de celles-ci. La décision elle-même n’est qu’une première étape du travail.