L’intelligence artificielle met à mal le caractère unique de l’humain
Photo: CC(by)Robin Zebrowski
(RNS/Protestinter)
Elon Muske, le directeur de SpaceX (une entreprise américaine spécialisée dans l’astronautique) et de Tesla (le constructeur de voitures électriques) s’est récemment pris le bec sur Twitter avec Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook au sujet des dangers de l’intelligence artificielle. Elon Musk a exhorté un groupe de gouverneurs de réguler de manière proactive l’intelligence artificielle (IA) qu’il considère comme une «menace fondamentale pour l’existence de la civilisation humaine».
«Jusqu’à ce que les gens voient des robots descendre dans la rue et tuer des citoyens, ils ne savent pas comment réagir parce l’IA semble si irréelle», a postulé le directeur de SpaceX. Mark Zuckerberg a réagi en disant que la peur de l’IA était «irréfléchie». Les deux opinions divergentes reflètent des questionnements existentiels auxquelles les humains sont confrontés à propos de leur caractère unique dans l’univers.
A notre époque, les robots ont rapidement peuplé notre paysage culturel. Les ingénieurs en construisent qui peuvent converser, effectuer des tâches dangereuses et même avoir des rapports sexuels. Comme Elon Musk, les gens peuvent voir les robots comme une menace, d’autant plus que certains ressemblent de plus en plus à des humains. L’apparition de robots «humains» suscite une sensation désagréable.
Ressemblants, mais pas trop!Dans les années 1970, le roboticien japonais Masahiro Mori a développé une théorie scientifique appelée «vallée de l’étrange» (uncanny Valley) selon laquelle plus un robot ressemble à un humain plus nous nous sentons à l’aise. Mais jusqu’à un certain point seulement. Si la similitude est trop grande, l’être humain ressent un profond malaise.
Des chercheurs ont corroboré cette hypothèse qu’ils expliquent de différentes façons. Pour Karl MacDorman, professeur agrégé au programme d’interaction homme-ordinateur de l’Université d’Indiana, ces robots humains nous rappellent notre propre mortalité. «Ils représentent à la fois la vie et l’apparence de la vie. Cela nous rappelle qu’à un moment donné, nous pourrions être inanimés après la mort».
Conscience artificielleDe plus, l’idée que les robots pourraient avoir une conscience et devenir presque impossibles à différencier des humains en perturbe certains, comme l’attestent des films récents tels que «Ex Machina» et «Her». La possibilité que les humains ne soient pas uniques ouvre des questions sur la nature de l’humanité.
Les philosophes comme Daniel Dennett décrivent les êtres humains comme des robots compliqués faits de chair. Mais les juifs, les chrétiens et les musulmans croient que les humains sont faits à l’image de Dieu, tel l’apogée dans la création.
«Je pense en particulier aux traditions chrétienne et juive où il y a vraiment ce concept d’image de Dieu», a souligné Brent Waters, professeur d’éthique chrétienne au séminaire théologique Garrett-Evangélique, dans l’Illinois. «Essayer de reproduire quelque chose d’unique que Dieu a créé peut être une forme d’idolâtrie».
Les personnes issues de cultures qui attachent une signification spirituelle aux arbres ou aux pierres peuvent avoir une relation plus facile aux robots. Karl MacDorman relève que dans la société japonaise, où se mélangent shintoïsme et bouddhisme, la tendance va vers une meilleure acceptation des robots, y compris ceux à forme humaine. Par exemple, des machines interagissent avec des clients dans les grands magasins et les ingénieurs ont conçu des robots pour tenir compagnie aux familles ou aux personnes âgées.
Juifs, chrétiens et musulmans dérangés par les robotsD’autre part, les fidèles des religions abrahamiques ont tendance à être davantage dérangés par les robots qui font le lien entre humain et matière inerte. «Je dirais qu’ils nous mettent mal à l’aise parce qu’ils sont différents», analyse le technothéologien et futuriste Christopher Benek, pasteur responsable à la principale Eglise presbytérienne de Fort Lauderdale en Floride. «Ils sont inquiétants. D’une certaine façon, ils sont absents. Mais d’un point de vue théologique, nous sommes spéciaux parce que nous sommes aimés par Dieu. Je pense qu’il est important pour nous de défendre ce point. Car nous sommes défiés par quelque chose qui pourrait être plus puissant que nous.»
La conception humaine du soi est aussi mise à mal en biologie. Même les nouveau-nés semblent percevoir leur corps comme unique, selon Philippe Rochat, professeur de psychologie à l’Université Emory qui a mené récemment une recherche autour de la vallée de l’étrange. «S’identifier comme unique est un ingrédient nécessaire pour aller de l’avant dans la vie et s’adapter au monde.» Alors que les gens devraient s’habituer à la présence de robots humanoïdes, la vallée de l’étrange semble être un instinct de perception qui persiste. «Les gens peuvent avoir un sentiment d’inconfort même s’ils n’ont été exposés à un robot qu’un dixième de seconde», constate Karl MacDorman. «Il y a un conflit et notre cerveau détecte immédiatement le problème et signale l’erreur».
Cet instinct vient du conflit entre les émotions du robot que nous imaginons et le fait que nous savons que ces robots sont des objets sans vie, explique Catrin Misselhorn, directrice de l’Institut de philosophie à l’Université de Stuttgart, en Allemagne. Les humains sont empathiques quand ils perçoivent qu’un autre humain et sur le point d’avoir des émotions. «Contrairement à ce qui se passe avec un robot, quand nous voyons une personne réelle, nous présumons que ce vis-a-vis a des pensées, des émotions, des sentiments», explique Philippe Rochat. «Nous nous projetons automatiquement les émotions de l’autre. Vous déshumanisez quelqu’un lorsque vous réduisez ou éliminez ce phénomène.»
De l’empathie avec une machineBien que les robots n’aient pas et ne montrent pas d’émotions ou de douleurs, involontairement, les humains leur en attribuent. Le fait que les humains puissent ressentir de l’empathie pour les robots pose des problèmes éthiques. Par exemple, les robots de vente pourraient tenter de persuader des gens d’acheter des choses, mais le fait que ces machines puissent être très ressemblantes à l’humain rend possibles des comportements très manipulateurs.
Alors que l’intelligence artificielle facilite la vie des humains de bien des façons, mettre des limites aux robots et tracer une ligne entre humanité et machine est devenu un questionnement de plus en plus pertinent pour les autorités. Dans le futur, les gouvernements pourraient définir clairement des droits pour les robots. «Le fait que nous ressentions de l’empathie pour des objets inanimés nous rend vulnérables à certaines formes de manipulations. Nous devrions donc réfléchir à où nous souhaitons des robots humanoïdes et où nous n’en voulons point», affirme Catrin Misselhorn.
L’intelligence artificielle peut toutefois être utilisée au service de l’humanité, insiste Christopher Benek. «Si l’IA se rapproche de l’intelligence humaine, les robots pourraient même avoir une pratique religieuse!» Il ajoute «Je ne vois nulle part dans la Bible de limitation de la créativité humaine, tant qu’elle est conforme à la volonté de Dieu. Si un jour les robots sont vraiment autonomes et significativement plus intelligents que nous, il me semble que cela se fera pour le bien de la l’humanité, de la terre et de la Création.»