Emmanuelle Seyboldt: «Dieu n’a pas besoin de moi pour le défendre»
Propos recueillis par Joël Burri
La majorité des articles annonçant votre élection titrent sur le fait que vous êtes une femme. Le fait d’avoir une femme à la tête de l’Eglise protestante unie de France (EPUdF) plutôt qu’un homme va-t-il changer quelque chose?
Dans mon Eglise, ça ne change rien. C’est très naturel. Le fait que je sois une femme n’a pas été un facteur décisif pour la commission chargée du discernement. Mais pour d’autres à l’extérieur de cette Eglise, qui se posent la question de la place de la femme dans leur institution religieuse, ça peut faire réfléchir. L’omniprésence de cette mention dans les articles me concernant montre bien le décalage entre ce que l’on vit dans notre Eglise et le regard que porte la société sur les religions.
Les femmes restent toutefois sous-représentées dans les organes directeurs, même dans les milieux luthéro-réformés.
Très jeune, j’ai envisagé le pastorat, et je n’ai jamais rencontré la moindre opposition. Je me suis toujours sentie soutenue dans ce projet. C’est vrai que même au sein du protestantisme, il existe des courants pour lesquels le pastorat féminin ne va pas de soi, mais ce n’est pas du tout ce que j’ai vécu. Pour moi, pas une seule fois la question ne s’est posée. Il faut du temps pour que les femmes arrivent aux organes directeurs, mais ça vient.
Je fais peut-être partie d’une génération qui arrive après un combat pour la place des femmes, et avant le suivant. Pour les femmes de mon âge, quand nous sommes arrivées sur le marché du travail, tout semblait déjà gagné. Peut-être que la génération suivante prend conscience maintenant d’autres inégalités.
Vous défendez ouverture et changement au sein de l’Eglise. Comment allez-vous gérer le dialogue avec les minorités de l’EPUdF qui se sont fait entendre ces derniers mois et qui revendiquent un certain repli au nom d’une lecture plus littérale des textes bibliques?
Le fait d’être Eglise unie depuis cinq ans est déjà dans son intitulé tout un programme. Conjuguer les branches luthérienne et réformée est une diversité assumée.
L’histoire de notre Eglise a de tout temps relié des tendances théologiques diverses. Elle s’en est trouvée enrichie et dynamisée. Cette diversité se poursuit. Une réflexion sur la lecture biblique a été mise en route cette année. Mais je crois que la réputation de «lecteurs de la Bible» est largement usurpée dans notre Eglise. J’ai la conviction qu’un renouveau de cette lecture permettra également de vivre nos différentes tendances théologiques de manière apaisée. Devant un texte, de multiples sens sont possibles. Ils ne s’excluent pas les uns les autres.
Les protestants ne sont plus des lecteurs de Bible?
Nos anciens lisaient la Bible tous les jours. Ce n’est plus vrai pour les nouveaux membres de l’Eglise ou les plus jeunes. Nous n’avons plus la même familiarité avec les textes, je m’en suis rendue compte régulièrement dans mes expériences pastorales. Désormais, les groupes d’études bibliques, la plupart du temps œcuméniques — et c’est une bonne chose — sont beaucoup plus fréquentés par des catholiques. Par ailleurs, l’âge moyen des participants y est généralement élevé.
Peut-être faut-il chercher de nouvelles formules pour lire la Bible ensemble. Les gens sont davantage prêts à s’engager sur une courte période, par exemple pour les huit rencontres d’un parcours Alpha, mais pas sur une longue durée. Par exemple, il devient difficile de convaincre les gens de s’engager sur un mandat de 4 ans comme conseiller paroissial. Pour moi, cela dit beaucoup du rapport au temps de nos contemporains.
Ce manque de familiarité avec les textes bibliques explique peut-être aussi pourquoi les membres peinent à exprimer leur foi. Et c’est l’un des intérêts de la nouvelle confession de foi, adoptée lors du dernier synode. Elle permet de donner les mots pour dire la foi aujourd’hui.
Quels sont les projets que vous souhaitez mener, au sein de ce nouveau ministère? Quelles valeurs souhaitez-vous y défendre?
J’ai un peu de mal avec le mot valeur. Dans ce ministère comme dans tous ceux que j’ai eus précédemment depuis 23 ans que je suis pasteur, j’ai tenté de mettre en toutes choses l’Evangile au centre: affirmer que Dieu aime chaque homme, chaque femme, sans mérite de leur part. Affirmer qu’il n’y a pas de fatalité, que le mal et la mort sont déjà vaincus. Voilà mes valeurs.
Côté projets, ils sont impulsés par le synode national. Ils sont de trois ordres: poursuivre la dynamique lancée par Laurent Schlumberger «pour une Eglise de témoins» et ancrer cette dynamique dans toutes les paroisses de l’Eglise; réfléchir à augmenter le recrutement de nouveaux pasteurs. Les entrées se maintiennent depuis de nombreuses années, mais il faut aujourd’hui aller plus loin, du fait des nombreux départs en retraite. Et enfin le renouvellement de la lecture biblique comme je l’ai dit plus haut.
Pourquoi cette réticence à utiliser le mot «valeurs»?
Ce que je crains toujours quand on l’utilise, c’est qu’on nous parle des fameuses valeurs chrétiennes qu’il s’agirait de défendre. Moi, je ne sais pas ce que sont les valeurs chrétiennes, j’ai envie d’annoncer l’Evangile qui fait vivre. Dieu n’a pas besoin de moi pour le défendre.
Le nouveau président de la République Emmanuel Macron a été l’assistant de Paul Ricœur et il le met en avant. Par ailleurs, il s’est dit favorable à l’enseignement du fait religieux. Est-ce que cela suscite en vous l’espoir de relations plus détendues entre l’Etat et les religions en France?
Je suis prudente sur la question: la société française est tellement crispée sur le sujet des religions! Les dernières tentatives de relancer le débat n’ont pas été très positives. Mais il est vrai que durant sa campagne, Emmanuel Macron a parlé de responsabilité individuelle et de confiance entre les citoyens. Ce sont pour le coup des valeurs qui nous sont chères.