Le mindfulness un nouveau mantra loin d’avoir fait ses preuves?

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Le mindfulness un nouveau mantra loin d’avoir fait ses preuves?

24 avril 2017
Bernard Faure dirige le centre pour l’étude du bouddhisme et des religions en Asie orientale à l’Université Columbia à New York. Pour ce spécialiste du bouddhisme en extrême orient ainsi que du panthéon japonais oriental, les dérives du mindfulness vers une méditation édulcorée équivalent à l’ère spirituelle du Nutella.

Propos recueillis par Caroline Amberger

Le mindfulness ou méthode de réduction du stress (MBSR en anglais) a-t-il fait son entrée en religion dans un occident en perte de repères? La pleine conscience soulagerait-elle à la manière d’un placebo? Si aucune étude scientifique ne valide réellement tous les effets salvateurs qu’on lui attribue, le mindfulness est aujourd’hui victime de son succès. Décliné sous de nombreuses formes présentes jusque dans nos smartphones et nos entreprises, ce néo-bouddhisme ouvre la porte à toutes les dérives dans un prêt à penser consumériste. Bernard Faure lance l’alerte. Interview

Bernard Faure, dans vos conférences données comme celle récemment à Genève vous allez à contre-courant du mindfulness pourtant très en vogue. Quelle est la réception d’une telle reprise critique?

J’ai peu de recul pour vous répondre, mais j’ai bien vu que cela dérangeait un certain nombre de personnes dans la salle qui ne s’attendaient probablement pas du tout au contenu de mes propos.

Aux Etats-Unis la popularité du mindfulness est-elle aussi grande qu’en Europe?

Oui, c’est véritablement un phénomène de masse. Le dalaï-lama est dépassé tout comme les initiateurs du MBSR. Personne n’avait anticipé ce succès qui reste très lucratif pour son fondateur Jon Kabbat-Zinn.

Vous avez expliqué lors de votre récente conférence à Genève que dans les années 80 le dalaï-lama a initié le dialogue entre le bouddhisme et les neurosciences, cette convergence est loin d’être prouvée, où sont les biais de ce dialogue?

Le dalaï-lama a fait un choix politique des représentants modernes et occidentaux du bouddhisme par des figures comme Mathieu Riccard. Mais c’est un choix à la façon de Janus à deux visages. Le dalaï-lama a une casquette très traditionaliste. Il a son médium qui lui laisse des messages, des oracles. En même temps, il a besoin d’un support occidental comprenant des disciples occidentaux qui véhiculent un bouddhisme protestant pourrait on dire. Débarrassé du rituel et du fatras de superstitions. Si le bouddhisme doit relever le défi réel posé par les neurosciences il est temps d’élargir le cercle des interlocuteurs et de prendre en compte le cercle de la pensée bouddhique. Le bouddhisme que j’ai rencontré dans mes recherches est très différent du bouddhisme simpliste qui est présenté actuellement. Quant à la convergence avec les neurosciences, l’interprétation de ce qu’apporte l’imagerie fonctionnelle reste très problématique. On dénombre 18’000 études au cours de ces 10 dernières années sur la méditation, 47 seulement comprennent des groupes de contrôles actifs!

Cette exportation faite sur mesure pour les Occidentaux véhicule un bouddhisme centré sur la philosophie et la médiation, ce n’est pas représentatif du bouddhisme?

Non. C’est une naturalisation du bouddhisme qui démythologise sa doctrine et le dévitalise. Cette importation ne tient pas compte des aspects rituels, de la dévotion, des expériences visionnaires. Il y a deux écoles, le petit véhicule plus conservateur avec un accent plus prononcé sur la philosophie et le grand véhicule qui a développé le culte et tout l’aspect du rituel comprenant un foisonnement symbolique de divinités parfois monstrueuses. Certains temples au Bhoutan en abondent. J’ai vu l’inverse en Birmanie, dans un musée, 500 statues quasi identiques de Bouddha. C’est le XIXe siècle qui a voulu faire du bouddhisme une religion sans dieu. Mais c’est faux, les dieux sont partout et les moines ont des visions. Il y a une irruption du surnaturel dans leur vie. Ce qui ne s’apparente pas à une pratique du dimanche pour aller mieux et trouver le bonheur en trois clics.

Ce bouddhisme reformaté pour une culture occidentale est-il un néo bouddhisme, une nouvelle entrée en religion?

Le problème est toujours le même, il faut savoir de quoi on parle. Du bouddhisme à la pleine conscience, il y a parfois un monde. Il ne s’agit pas de dire «je prends ce qui m’intéresse pour m’épanouir et j’applique une recette simple et rapide». L’idée de base du bouddhisme c’est que nous vivons dans un monde illusoire. Il faut s’éveiller, la réalité est différente de ce qui paraît. Contrairement aux idées reçues, il ne s’agit pas d’accepter cette réalité, mais d’en sortir. Les pratiquants de la pleine conscience pourraient être déçus. Sur le marché, il y a beaucoup de charlatans prêts à faire plus de mal que de bien. Et le web regorge de ce type de méthodes, séparer le bon grain de l’ivraie n’est pas facile.