La perception de Luther se transforme chez les catholiques
, EPD/Protestinter, Rome
Image: Martin Luther par Lucas Cranach l'Ancien
Le cardinal Walter Kasper, ancien «ministre de l’Œcuménisme» du Vatican, se souvient que jusqu’à l’époque de sa jeunesse, Martin Luther était assimilé au diable dans les milieux catholiques. Et Wolfgang Thönissen, expert catholique de l’œcuménisme, admet que «dans les cercles catholiques sans expérience œcuménique, c’est encore le cas aujourd’hui». Ce professeur de théologie œcuménique, spécialiste de Luther, parle cependant de grandes avancées dans le dialogue entre catholiques et luthériens, lesquelles auraient mené chaque confession à se faire de l’autre une image plus réaliste.
Parmi les signes de ces progrès, on peut compter un congrès sur Luther et les sacrements organisé par Wolfgang Thönissen à l’Université papale grégorienne, en sa qualité de directeur de l’Institut Johann Adam Möhler pour l’œcuménisme de Paderborn. Au cours du colloque qui a eu lieu fin février au sein de ce haut lieu romain de l’enseignement supérieur jésuite, le cardinal Kurt Koch, successeur de Walter Kasper à la tête du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, a évoqué les évolutions de la compréhension mutuelle entre protestants et catholiques. Celle-ci provient selon lui du dialogue officiel entamé depuis le deuxième concile du Vatican, il y a 50 ans environ.
Les deux côtés s’accordent aujourd’hui à dire que Luther n’aspirait nullement à un schisme au sein de l’Eglise et à la fondation d’une Eglise nouvelle. Il aurait de loin préféré réformer l’institution de l’intérieur. Jusqu’au mois d’octobre de cette année, l’Eglise protestante célèbre les 500 ans de la réforme. Le 31 octobre 1517, Martin Luther (1483-1546) a publié ses 95 thèses contre les abus de l’Eglise de son temps. Le légendaire affichage des thèses est considéré comme le point de départ d’un mouvement de réforme mondial, lequel a entraîné la séparation des Eglises protestante et catholique.
Sur fond d’efforts réformateurs de la part de l’Eglise catholique, les velléités de réforme de Luther s’étaient déjà manifestées au xvie siècle, par exemple en Espagne, fait remarquer Kurt Koch, cardinal de curie d’origine suisse. Mais Luther n’avait alors pas trouvé une oreille attentive auprès des évêques et du pape. L’Eglise catholique de l’époque porte une «grande part de responsabilité» dans le fait que le mouvement initial de réforme de l’Eglise ait débouché sur une réforme susceptible de la scinder en deux, a souligné Koch lors d’une intervention au sujet de Luther et des sacrements. Selon les termes du président du Conseil pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens, l’Eglise catholique est en constant besoin de réforme, car elle a «perdu sa forme première» au fil de ses développements historiques. Il s’agit donc pour elle de retrouver sa forme initiale et authentique. Le deuxième concile du Vatican (1962-1965), un concile de réforme, avait aussi pour sujet de rendre à la parole de Dieu cet aspect central qui lui revient dans la vie et dans le message de l’Eglise.
L’organisateur du congrès, pour sa part, est convaincu que la discussion sur l’identité catholique de Luther constitue un point de départ pour des efforts vers une plus grande unité. Le réformateur se trouve «à l’extérieur, et pourtant à l’intérieur», a déclaré Wolfgang Thönissen en résumé du débat sur la position de Luther au sein de l’Eglise catholique. Cet expert de l’œcuménisme déplore néanmoins un manque d’intérêt pour le dialogue parmi les théologiens catholiques et protestants.
Quelques chrétiens de confession protestante ont plutôt encore et toujours tendance à imaginer qu’à travers l’œcuménisme, les catholiques ne cherchent qu’à les amener à un retour au sein de leur Eglise. Quant aux théologiens catholiques, d’après l’estimation de Wolfgang Thönissen, 75% d’entre eux écartent tout débat sur des thèmes tels que le baptême et la Cène, considérés comme des «bruits de fond entre les deux Eglises». La réunion autour de ce congrès sur Luther et les sacrements a aussi nécessité de surmonter des résistances du côté catholique, reconnaît Wolfgang Thönissen, qui se décrit comme un «professionnel de l’œcuménisme». Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, lui aussi, a fait lors du congrès sur Luther une intervention sur «l’Eglise en tant que lieu de la justification», en sa qualité de préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi du Vatican. Gardien suprême de la doctrine, il est considéré comme un conservateur.
Gerhard Ludwig Müller a commencé à se pencher sur le thème de la réforme dès sa thèse de doctorat sur Dietrich Bonhoeffer (1906-1945), un théologien et résistant luthérien. Pour ce cardinal allemand, le fait que Luther et Bonhoeffer aient placé le Christ au cœur de leurs convictions religieuses représente un point de convergence essentiel avec la doctrine de la foi catholique.
Dès 2011, le pape de l’époque, Benoît xvi, en avait étonné beaucoup par son hommage à la théologie du réformateur lors de sa visite au couvent des Augustins d’Erfurt, l’un des hauts lieux de l’œuvre luthérienne. Son successeur François a célébré à l’automne dernier avec les plus hauts dirigeants de la Fédération luthérienne mondiale le coup d’envoi du 500e Jubilé de la réforme, dans la ville suédoise de Lund.