Un document neuchâtelois provoque la fureur du roi de France
Par Joël Burri
«Dans la nuit du 17 octobre 1534, de petites affiches, des “placards” furent apposés en plusieurs endroits, à Paris et jusque sur la porte de la chambre de François Ier au château d’Amboise», relate l’Encyclopédie Universalis. «La légende veut même qu’un de ces placards soit tombés dans le thé du roi», complète en souriant l’historienne Geneviève Gross.
Sur ces affichettes était imprimée une attaque violente contre le culte catholique, eucharistie en particulier. Le document est titré: «Articles véritables sur les horribles, grands et insupportables abus de la messe papale, inventée directement contre la sainte cène de notre Seigneur, seul Médiateur et seul Sauveur Jésus Christ.»
François 1er aurait perçu cet évènement comme une attaque contre son autorité. Sa position vis-à-vis des réformateurs se serait dès lors endurcie. Il ordonna des persécutions. Six «hérétiques» sont condamnés au bûcher. Ce qui déplut aux princes allemands. On tenta dès lors de faire passer les suppliciés pour des révolutionnaires anabaptistes, bref des extrémistes. Et c’est pour contrer cette accusation que Calvin, réfugié à Genève, aurait décidé de publier son «Institution chrétienne»
«C’est un peu un moment charnière», insiste Geneviève Gross. «Jusqu’alors, le clergé tente de faire passer la Réforme comme une simple hérésie de plus, liées aux précédentes. Là, il apparaît que le mouvement est capable d’organiser une telle opération», explique la chercheuse à l’Institut d’histoire de la Réformation de l’Université de Genève.
Ces textes qui dénoncent la fausseté de la messe ont, en fait, été rédigés à Neuchâtel par le pasteur Antoine Marcourt et imprimés par Pierre de Vingle. Un imprimeur lyonnais, acquis aux idées nouvelles qui vint s’installer avec ses presses à Genève, puis à Serrières après avoir eu des démêlés avec la justice de son pays à la suite de la publication d’un Nouveau Testament en français. «Pierre de Vingle n’a exercé que trois ans à Neuchâtel», rappelle Geneviève Gross. «De 1533 à 1536. Après on perd sa trace. Il est sans doute mort», explique l’historienne. «Par leur fonction, les imprimeurs étaient une population très vite touchée par les idées nouvelles», souligne-t-elle.
Les historiens savent peu de choses sur l’organisation pratique de ce placardage simultané dans plusieurs villes (Paris, Blois, Orléans, Amboise,…) ni sur son impact sur a diffusion des idées nouvelles. «Bien sûr que cette action visait avant tout le roi», souligne Geneviève Gross. «Mais ces documents, un peu plus grands que notre format A4 étaient très mobiles. Je m’imagine volontiers que des passants les ont emportés. Qu’ils ont été lus en groupe. On risquait gros à se promener avec une telle affichette sur soi, mais cela reste quelque chose de facile à dissimuler.» Pour l’historienne, «les réformateurs ont très vite saisi l’importance de l’imprimé pour suppléer au manque de prédicateurs et amplifier leur présence.»