«L’idée c’est d’implanter en Suisse romande cette méthode qui consiste à commencer par analyser les pratiques ecclésiales»
Propos recueillis par Joël Burri
Lors de l’annonce de la nomination d’Elisabeth Gangloff-Parmentier à Genève, on nous a annoncé que la personne désignée à Lausanne aurait une approche complémentaire. Alors quelle forme va prendre l’enseignement de la théologie pratique à Lausanne?
Mon expérience à l’Université de Montréal m’a fait prendre conscience que la théologie pratique doit d’abord observer les pratiques théologiques. Elle se fait à partir du terrain, à partir de ce qui se fait, que cela plaise ou non, que cela marche ou pas, que cela semble théologiquement plus ou moins juste. J’ai donc l’ambition de former des théologiennes et des théologiens capables d’améliorer les pratiques ecclésiales, spirituelles ou évangéliques, de les rendre à la fois plus fidèles aux valeurs qu’elles revendiquent et plus efficaces dans leur contexte.
Vous avez beaucoup travaillé sur l’alimentation et la symbolique des aliments. Allez-vous en faire profiter vos étudiants?
Je vais faire profiter mes étudiants de mes recherches précédentes, en leur apprenant à observer à l’aide de toutes leurs perceptions sensorielles, dont le goût, évidemment. Certains protestants francophones en doutent, mais la foi ne passe pas seulement par les oreilles ou par les yeux, mais aussi par la bouche, par le nez ou par le sens du toucher. Je pense donc qu’il est important de prendre en compte l’ensemble des perceptions sensorielles, y compris le goût.
Vous avez déjà des idées de vos domaines de recherche lausannois?
J’ai des travaux qui sont en cours et que je vais terminer, par exemple ma recherche sur les aliments figurant sur les images médiévales de la cène. Il y a des recherches que je vais poursuivre. J’aimerais par exemple que l’Institut lémanique de théologie pratique travaille sur un programme que j’intitulerais «améliorer les pratiques chrétiennes – diversifier les perceptions sensorielles». L’idée serait d’implanter en Suisse romande une praxéologie spirituelle et sensorielle, une méthode qui commence par analyser les pratiques ecclésiales telles qu’elles sont, en prenant en compte toutes les perceptions, pas simplement les paroles, la liturgie ou la prédication.
Et puis je vais répondre à la demande de la Faculté de théologie et de sciences des religions de travailler sur la question de l’accompagnement spirituel, ainsi que sur la question du développement de l’Eglise. Ce sont des domaines que je vais approfondir parce qu’honnêtement, je les ai moins travaillés jusqu’ici. Mais ce qui m’intéresse déjà depuis longtemps dans ces deux domaines, là où je me sens compétent, c’est dans l’éducation de la foi. Ça me paraît être une notion centrale tant pour le développement des Eglises que pour l’accompagnement spirituel. L’approfondissement de la confiance pourrait même être plus important que l’augmentation du nombre des membres.
Vous insistez sur le terrain, mais est-ce que cela ne demande pas des moyens considérables? Est-ce envisageable en Suisse?
Les moyens sont importants, mais je pense que l’Institut lémanique de théologie pratique devrait surtout être un lieu d’accueil. Dans les Eglises réformée, évangélique, catholique, il y a beaucoup de gens, des laïques, des pasteurs, des prêtres, qui réfléchissent sur leurs pratiques. La théologie pratique universitaire devrait leur donner un cadre pour les aider à continuer ces recherches, des outils méthodologiques, des ressources et parfois simplement un lieu de partage pour échanger sur ce qu’ils font.
Par exemple, quelqu’un de Saint-Laurent Eglise pourrait y travailler sur les repas communautaires servis après le culte et un aumônier du CHUV venir y présenter l’usage qu’il fait du toucher en hôpital. C’est parfois le dernier sens avec lequel il est possible d’entrer en contact avec certains malades; mais pourquoi est-ce qu’on touche?, comment est-ce qu’on touche?, qu’est-ce que ça signifie pour la relation personnelle?, et pour la vie spirituelle? Je pense qu’un lieu de partage et d’évaluation de ce genre de pratiques serait souhaitable. Et je vais m’efforcer de le mettre en place!
Le changement de vie va être rapide, on vous a laissé peu de temps entre votre nomination et l’entrée en fonction.
En effet! Heureusement que je sais m’adapter. Concrètement, je vais partager mon temps entre Montréal et Lausanne pendant l’automne. Et je serai complètement à Lausanne en hiver.
Au moment de mon engagement, on m’a demandé pourquoi je venais à Lausanne alors que j’ai un poste intéressant à Montréal. J’ai répondu qu’une faculté de théologie universitaire qui décidait d’investir dans la théologie pratique et de lui donner des perspectives d’avenir méritait qu’on s’y intéresse. Mais j’apprécie aussi de revenir en Suisse, de travailler dans une culture plus protestante que le Québec, d’apporter ma collaboration aux Églises, plus largement à celles et ceux qui accompagnent la vie spirituelle.
Est-ce que cela ne va pas être compliqué de collaborer dans un institut entre deux facultés distantes de 70 km?
Non tant qu’il y a des relais de poste pour changer les chevaux! Vus d’Amérique du Nord, 70 kilomètres ne semblent pas une distance infranchissable. Et puis, les facultés de Genève et de Lausanne travaillent déjà ensemble depuis dix ans. Le problème me semble réglé.
Mais on pourrait aussi parler des 25 kilomètres qui séparent Lausanne de Saint-Légier ou des 60 kilomètres qui séparent Lausanne de Fribourg. J’aimerais poursuivre, développer ou créer des collaborations avec les formations évangélique et catholique, mais aussi avec la formation des imams. Je pense qu’on pourrait travailler ensemble pour former les responsables religieux. Et je rêve de mettre en place un programme de recherche qui irait sur le terrain non seulement des Eglises réformées, mais aussi des catholiques, des évangéliques, des orthodoxes, des juifs et des musulmans. Par exemple, comment éduque-t-on la foi dans les diverses confessions et religions présentes en Suisse romande? Ce serait probablement intéressant de voir à la fois les points communs et les différences. En tous cas, j’ai envie d’apprendre des uns et des autres.
Olivier Bauer
Mari de Patricia, père de trois jeunes adultes
Depuis 2012, Olivier Bauer tient un blogue théologique: «Une théologie au quotidien»
Quelques dates
25 janvier 1964, naissance à Neuchâtel
1987, Licence à l’Université de Neuchâtel, mémoire intitulé «Messianisme et totalitarisme»
1987-1988, pasteur suffragant de l’Eglise réformée de France et pasteur stagiaire de l’Eglise réformée évangélique du canton de Neuchâtel
1988-2003, animateur de jeunesse dans l’EREN
1993, diplôme de spécialisation à l’Université de Neuchâtel: «Jésus, Marx et les autres… Et si le messianisme était une catastrophe?»
1993-1999, pasteur et aumônier scolaire dans l’Eglise évangélique de Polynésie française à Papeete (envoyé DM pour la Cevaa)
2000, doctorat à l’Université de Lausanne: «“Quand faire, c’est dire”. Les processus de ritualisation dans l’Eglise évangélique de Polynésie française», sous la direction de Bernard Reymond
2003-2006, pasteur de l’Eglise francophone de Washington, DC
2005-2015, professeur à la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Montréal. Thèmes de recherche: la transmission du christianisme; les liens entre l’alimentation et la spiritualité; la religion du Canadien de Montréal
Publications
2011, Hockey as a Religion: The Montreal Canadiens, Champaign, Common Ground
2011, Une théologie du Canadien de Montréal Montréal, Bayard Canada
2011, L’hostie, une passion québécoise Montréal, Liber
2008, Le protestantisme et ses cultes désertés. Lettres à Maurice qui rêve malgré tout d’y participer, Genève, Labor et Fides.
2003, Les rites protestants en Polynésie française: «Quand faire, c’est dire!», Paris Harmattan.
2000, Le protestantisme à table: les plaisirs de la foi, Genève, Labor et Fides.
1999, Petit lexique du parler local Papeete: Au vent des îles.
1996, Le jeu de Dieu et de Jonas. Grille de lecture pour un livre déroutant, Aubonne, Editions du Moulin