Une initiative pour une économie propre
Photo: De gauche à droite: Antoinette Hunziker-Ebneter, directrice de Forma Futura Invest SA, Andreas Missbach, membre de la direction de la Déclaration de Berne, Cornelio Sommaruga, ancien secrétaire d’Etat aux affaires économiques extérieures et président honoraire du CICR, Peter Niggli, directeur d’Alliance Sud, Manon Schick, directrice d’Amnesty International Suisse
Par Laurence Villoz
«L’autorégulation volontaire des entreprises a clairement montré ses limites. Il est nécessaire que la Suisse fasse un pas supplémentaire», a affirmé Manon Schick, la directrice d’Amnesty International Suisse, lors d’une conférence de presse à Berne. Ainsi, 66 organisations actives dans les droits humains, l’entraide et la protection de l’environnement ont lancé l’initiative «pour des multinationales responsables», mardi 21 avril. Cette initiative populaire fédérale demande «que les entreprises soient tenues de protéger les droits humains et l’environnement dans l’ensemble de leurs relations d’affaires».
Selon la soixantaine d'organisations, certaines multinationales suisses ne respectent actuellement ni les droits de l’homme ni l’environnement dans leurs filiales à l’étranger. Par exemple, les activités du géant zougois Glencore dans une mine de cuivre en Zambie produisent des émissions de dioxyde de soufre 40 fois supérieur aux normes définies par l’Organisation mondiale de la santé. Les émanations mortelles rejetées par une production intempestive empoisonnent la population locale et des pluies acides détruisent la végétation.
Parallèlement, les entreprises pharmaceutiques Roche et Novartis délocalisent leurs essais cliniques dans des pays émergents, testant ainsi des médicaments sur des êtres humains, dans des Etats où les réglementations sont moins strictes. Un autre exemple concerne la production de cacao. Environ 70% des fèves proviennent de l’Afrique de l’Ouest où plus d’un demi-million d’enfants travaillent dans les plantations.
Contacté peu après l'annonce de l'initiative, Glencore rejette les accusions contre son entreprise, soulignant adhérer aux Principes volontaires sur la sécurité et les droits de l'homme, un ensemble de principes destinés à guider les entreprises «dans le maintien de la sécurité de leurs opérations dans un cadre d'exploitation qui encourage le respect des droits de l'homme». Novartis de son côté, n’a pas souhaité se prononcer.
Préserver la réputation de la Suisse«Ces entreprises constituent un risque pour la réputation de notre pays», a souligné Antoinette Hunziker-Ebneter, la directrice de Forma Futura Invest SA. «La Suisse doit se doter de bases juridiques adéquates pour éviter que les entreprises ne se trouvent impliquées dans des abus», a ajouté Manon Schick. Si l’initiative est acceptée, les entreprises suisses auront l’obligation de mettre en œuvre leur devoir de diligence, c’est-à-dire qu’elles devront publier un rapport sur les risques qu’elles identifient, les droits menacés et les mesures qu’elles adoptent. Si elles ne le font pas, les personnes lésées pourront demander des dommages et intérêts devant un tribunal suisse.
L’initiative fait suite à la campagne «Droit sans frontière», lancée en 2011, et dont la pétition avait récolté 135'000 signatures en sept mois. Le but était d’inciter le Conseil fédéral à mettre en place des mesures légales pour contraindre les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement partout dans le monde. Toutefois, le gouvernement suisse a refusé d’aller au-delà des simples mesures volontaires. C’est pourquoi la coalition d’organisations a décidé de lancer une initiative. Si elle parvient à recueillir 100'000 signatures des citoyens suisses en 18 mois, le peuple votera.
Cette action s’inscrit au niveau international. En 2011, le Conseil des droits de l’homme a adopté à l’unanimité «les principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et droits de l’homme» qui englobent les devoirs des Etats, la responsabilité des entreprises et une possibilité de recours pour les victimes. Plusieurs pays, dont les Etats-Unis, l’Angleterre et la France, ont déjà élaboré des lois spécifiques sur le devoir de diligence.