Des mécènes financent la formation en théologie pratique
Photo: CC(by-sa) John Middleton
«C’est très confortable de parler de résurrection dans un cénacle fermé. Mais ensuite le faire à l’hôpital face à un jeune père mourant, c’est tout autre chose», raconte Anne-Marie Pictet. Prédicatrice laïque de l’Eglise protestante de Genève, l’épouse du banquier Charles Pictet, aujourd’hui retraité, résume ainsi l’un des enjeux de la théologie pratique, qui vise à articuler réflexion théologique et réalité du terrain. «Je suis très attachée à ce que les pasteurs puissent avoir une formation qui leur permette de dialoguer et échanger avec la société d’aujourd’hui», précise-t-elle.
Le couple Pictet, ainsi qu’une fondation de famille qui souhaite rester anonyme, ont donc décidé de soutenir par leur mécénat la création de deux chaires de théologie. L’une en théologie pratique, et la seconde dans une discipline de théologie encore à déterminer. Les donateurs s’engagent pour un montant d’environ 4,5 millions de francs, afin de financer ces deux postes de professeurs sur dix ans. L’Université prendra à sa charge plusieurs postes d’assistants.
Liberté académique garantie«Les deux mécènes ne posent aucune condition et garantissent toute liberté académique, ce point est très clair dans la convention qui nous lie», promet Alexis Keller, professeur de droit et président du Conseil de Fondation de la Faculté autonome de théologie de l’Université de Genève. Cet organe date de la séparation entre Eglise et Etat et il gouverne la faculté. Ayant lui-même longtemps travaillé dans des universités anglo-saxonnes, Alexis Keller constate que les universités suisses ont beaucoup de peine à faire appel à des mécènes. Charles Pictet insiste sur le caractère exemplaire qu’il souhaite donner à ce mécénat. «Si l’Université vient avec des projets concrets, je suis persuadé qu’elle peut trouver des mécènes!»
Les deux chaires créées porteront les noms d’Irène Pictet et de Jacques de Senarclens. Irène Pictet, mère de Charles Pictet, s’est engagée activement dans les Unions chrétiennes féminines. Quant à Jacques de Senarclens, il fut doyen de la faculté. «Je suis très émue de pouvoir annoncer cela, car j’étais très attachée à ma belle-mère», souffle Anne-Marie Pictet.
Pour la rentrée 2015 déjàLes procédures de nomination sont déjà lancées pour le poste en théologie pratique, l’objectif étant de voir le nouveau professeur entrer en fonction le 1er août 2015. «Nous espérons trouver quelqu’un de très haut niveau, avec de l’expérience et idéalement une femme», explique Jean-Daniel Macchi doyen de la faculté de théologie. Pour la seconde chaire, les démarches en sont pour l’heure à l’étape de la commission de planification.
Le geste de ces mécènes est un véritable soulagement. «Lorsqu’il y a deux ans, nous avons appris que la Faculté de théologie de Neuchâtel allait fermer, nous avons rapidement compris que c’est tout simplement la formation pastorale en Suisse romande qui était condamnée si nous ne trouvions pas une solution», reconnaît Alexis Keller. En effet, depuis 2004, et la création d’une fédération de facultés de théologie entre Genève, Lausanne et Neuchâtel, c’est cette dernière université qui dispensait les cours de théologie pratique pour l’ensemble des étudiants des trois universités. L’annonce de la disparition de la Faculté de théologie de Neuchâtel pour la fin de cette année académique laissait donc les deux autres partenaires du triangle Azur sans solution pour la théologie pratique.
La théologie pratique se donne pour objectifs d’étudier les liens entre savoirs académiques et réalités pratiques. En clair, d’une part elle tend à rendre applicables les découvertes théologiques dans la réalité ecclésiale ou pastorale, et d’autre part à l’inverse, elle analyse les pratiques d’Eglise d’un point de vue critique.
Jean-Daniel Macchi rappelle que dans la tradition réformée, on exige des pasteurs qu’ils «soient des intellectuels avec un bagage théologique solide.» Les futurs pasteurs doivent donc suivre cinq ans de formation académique à l’université avant de pouvoir entrer en formation professionnelle, gérée par les Eglises. Les Eglises exigent, de plus, que la branche à option théologie pratique ait été choisie jusqu’au niveau Master.
Le quart d’heure vaudoisParallèlement à cet engagement financier, l’Université a rendu possible la création d’un master à distance. Cet enseignement qui rencontre un immense succès n’étant actuellement possible que jusqu’au niveau Bachelor.
Ces nouvelles renforcent-elles l’Université de Genève dans son rôle de formation des ministres romands au détriment de l’Université de Lausanne? «Pas du tout, insiste Jörg Stolz doyen de la faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne. Tant le master à distance que la création d’une chaire de théologie pratique se font en concertation avec Lausanne. Lausanne va présenter d’autres engagements. Du côté des Vaudois, les choses sont allées un peu plus lentement, mais cela va venir…»
Cet article a été publié dans:L'édition du 7 octobre 2014 du quotidien genevois Le Courrier.
L'édition du 7 octobre 2014 du quotidien fribourgeois La Liberté.
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